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Les moulins de Caramaing

 

I. Un village vivant en autarcie : 

 Jusqu'à la fin du XIXe siècle, reliées entre elles par des sentiers muletiers, les différentes localités vivaient en autarcie. Cela imposait aux habitants de pratiquer une polyculture qui devait répondre à tous les besoins. 

I.1 Quelques ressources pour subsister. 

carte de CassiniCaramany, perché au milieu des collines arides du bas Fenouillèdes était certes un village isolé où la vie était dure 1, mais qui possédait quand même quelques atouts. Un territoire assez vaste pour abriter du gibier et fournir dans les nombreux espaces non cultivés de la nourriture à un troupeau de chèvres et de moutons, une vallée traversée par un fleuve côtier, l'Agly, dont les berges, quoique relativement étroites, pouvaient être cultivées  et auquel s'ajoutait un réseau hydrographique important composé de plusieurs ruisseaux et de nombreuses sources et enfin, dans sa zone la plus haute, la forêt de Balderbe  2, pourvoyeuse en bois, mais aussi en nourriture pour les animaux et en fruits sauvages, (arbouses, asperges, champignons, truffes...) Un document daté de 1686* indique que les villageois ne paient aucune redevance (sous-entendu au seigneur) pour le droit de dépaissance et le droit de couper du bois. Le troupeau communal pouvait donc se nourrir sur l'ensemble des terres non cultivées ainsi que sur les terres cultivées après enlèvement des récoltes et le ravitaillement en bois pour la cuisine et le chauffage était gratuit.

Au fil du temps, les Carmagnols avaient aménagé des jardins potagers dans les secteurs de la Sale et de l'Horto que l'on pouvait arroser facilement, planté le long des ruisseaux des châtaigniers, des figuiers, des cerisiers, des noyers, exploité sur les pentes les amandiers, les oliviers, quelques parcelles de vigne. Les bords de l'Agly, facilement exploitables, étaient bien sûr réservés aux céréales alors que les besoins en viande et en lait étaient couverts par l'élevage de moutons, de chèvres, une à trois ou quatre par famille que l'on regroupait en troupeau, les poulaillers familiaux et bien sûr la pêche, la chasse (après la Révolution) et le braconnage toujours interdit mais toujours pratiqué. 

                * Fenouillèdes diocèse d'Alet - page 49 

I.2 Le pain, aliment de base 

De tout temps, le pain a été considéré comme l'aliment de base et le rempart contre la famine, d'où la nécessité pour chaque famille de disposer de sa farine et donc de cultiver des céréales. Dès le Moyen Age, les seigneurs ont exploité cette nécessité en faisant construire un moulin dit banal dans lequel la communauté villageoise était obligée de venir faire moudre son grain. Ce fut le cas à Caramany où un moulin seigneurial est attesté. Mais notre commune affiche, une fois de plus, ses particularités, car ce n'est pas un mais six moulins que l'on peut recenser sur son territoire. Cinq d'entre eux fonctionnaient à l'énergie hydraulique, le sixième était un moulin à vent.

La lecture du livre Moulins et meuniers du Fenouillèdes m'a donné envie d’en savoir plus sur l’existence de ces ‶usines″, vitales pour la population. 

I.3 La production céréalière 

Avant de tenter de reconstituer leur histoire mouvementée, il convient de nous intéresser, même si les informations à ce sujet sont peu nombreuses, à la production céréalière du lieu.

Nous savons, à partir des comptes de la Fabrique tenus par le curé Fabre 3 de 1700 à 1730, que les Carmagnols cultivaient un peu de blé, il est cité à plusieurs reprises, mais essentiellement du méteil, mélange de blé et de seigle qui convient mieux à des terres peu fertiles et qui est aussi appelé arrao. Sauf erreur de ma part, le terme de seigle seul n'est pas mentionné dans les cahiers de Monsieur le curé. Or, comme le montre ci-dessous l'état des récoltes en 1791 et la carte page 226 du livre Moulins et meuniers du Fenouillèdes, c'était la céréale dominante convenant aux terres pauvres.

Le registre des emphytéotes de 1753, conservé aux Archives départementales, donne quelques chiffres *1. En plus du seigneur et de 16 propriétaires forains, c'est à dire n'habitant pas le village, il recense les noms de 88 tenanciers qui cultivent 290,58 ha dont 173,33 ha de champs et 29,52 ha de parcelles mixtes, champs et vignes. Même avec un rendement faible, il y a du grain à moudre. Un état des récoltes établi en 1791, nous apporte quelques renseignements intéressants sur la variété des cultures.  

                                Céréale

                          Volume déclaré

    Blé

   35 setiers

    Seigle

   204 setiers

    Paulmelle ou paumelle (variété d'orge)

   15 setiers

    Maïs

   25 setiers

    Petit millet

   6 setiers

    Légumineuses

   31 setiers

 Cet état confirme que le seigle est la céréale qui domine, l'orge et le blé venant loin derrière. Il nous apprend qu'il y a une petite production de millet, de maïs et de légumineuses. Ces trois cultures peuvent apporter des produits alimentaires pour l'homme, la farine de millet par exemple sert à confectionner le millas, un gâteau prisé dans tout le sud-ouest de la France et dont la recette se perpétue tout près de chez nous, à Caudiès de Fenouillèdes, mais elles devaient être essentiellement utilisées pour la nourriture des animaux. On remarque que le méteil ne figure pas dans ce tableau, alors qu’il est présent dans les déclarations des années suivantes.

Par contre, il est difficile d'interpréter les volumes récoltés. D'abord parce que la transcription des mesures anciennes en mesures modernes est particulièrement périlleuse. Le setier varie d'une région à l’autre et d'après les dictionnaires anciens, il peut aller de 150 à 300 litres, soit du simple au double. Il est même nettement inférieur dans les provinces du sud. Mais surtout parce que l’on peut raisonnablement douter de la réalité de ces quantités, nos paysans ayant intérêt à sous évaluer la production réelle pour diminuer leurs impôts et limiter les réquisitions. On trouve par exemple en 1793 deux déclarations qui ne semblent pas être faites pour le même destinataire. Dans l’une en date du 29 octobre, on peut lire par exemple 62 septiers de bled et 537 septiers de seigle alors que dans l’autre en date du 18 décembre, il n’y a plus que 31 septiers de blé et 296 septiers de seigle, le maire ajoutant : « le résultat n’est pas considérable, notre terroir n’est pas propre à nous fournir du grain, voilà le mal *2. »

Quel que soit l’état des récoltes, elles ne suffisent pas à répondre à l'augmentation de la population et les Carmagnols sont dans la nécessité d’augmenter les rendements de leurs champs ; pour cela, ils se lancent dans l'irrigation. C'est le curé Montferrand qui nous l'apprend en inscrivant sur son registre « Mémoire sera que le 30 janvier 1789, par moi Jean Damien Montferrand, recteur de Caramaing, l'eau a été mise aux champs de Terrefort et de Saint Martin pour la plus grande gloire de Dieu, pour le bonheur de ses paroissiens, pour qu'ils daignent dans leurs prières se souvenir de son bon pasteur. »

Le recteur ne précise pas comment « l’eau a été mise » mais on imagine aisément le creusement plus ou moins légal de canaux de dérivation sur l’Agly. Avec la création d’un syndicat, le canal de la rive gauche sera officialisé en 1815 et celui de la rive droite en 1817. Deux ans plus tard, le propriétaire du moulin Pierre Grand autorise les tenanciers à utiliser, en dehors des périodes de fonctionnement, l’eau de son canal d’amenée pour l’arrosage de leurs champs. Bien des années plus tard, cet arrangement alimentera un conflit entre le syndicat d'arrosage et les propriétaires du moulin qui signera certainement sa fin.

La répartition des surfaces cultivables en 1820 *3 confirme l’augmentation de la production agricole : les terres semées représentent 22% de la surface du territoire soit environ 310 ha dont une petite partie était réservée à la récolte de légumes peu exigeants : haricots, lentilles, petits pois, pois chiches. Le reste était semé en céréales. Mais c'est surtout la viticulture qui se développe ; d'un peu plus de 80 hectares en 1753, on est passé à 20% du territoire soit 280 ha. Et cette évolution va se poursuivre en s'accentuant. En 1854, on recense 336 ha de vignes dont les plantations se font au détriment des autres cultures : 18 ha de seigle, 12 ha de méteil, 8 ha de froment, 28 ha de maïs, 15 ha de pommes de terre et 6 ha de luzerne. En 1882, il ne reste plus que 20 ha de céréales *4.

L'annuaire du commerce Didot-Bottin signale en 1894 que Nicolas Dabat est marchand de grains, c'est à mettre en relation avec le fait qu'il est aussi co-propriétaire de l'ancien moulin seigneurial. Le même annuaire indique encore en 1899 que Caramany produit des vins et des céréales, mais il doit en rester bien peu. Dans l'édition de 1912, le mot céréales a disparu. Pourtant si l'on en croit le Figaro, des céréales étaient encore cultivées en 1911. Dans son édition du 26 mars, ce quotidien national publie un article intitulé Tempêtes et naufrages à propos du très mauvais temps qui a touché la France 4. Et voici ce que l'on peut lire : « Dans le Midi, dans l'arrondissement de Perpignan, un cyclone s'est abattu sur la commune de Caramany. En un court espace de temps, les rues ont été transformées en torrents, des toitures d'habitation se sont effondrées, tandis que l'eau inondait les caves et qu'un grand nombre d’habitants, épouvantés, s’enfuyaient hors de leurs maisons. Dans la campagne, aux environs, les céréales ont considérablement souffert et un grand nombre d'arbres fruitiers ont été emportés. » Pas d’allusion à la vigne qui a sûrement bien résisté et qui, tout en étant la culture dominante, n’était pas encore la seule.

                 *1 d'Ille et d'ailleurs Caramany - pages 14 à 20

                 *2 ADPO L 590

                 *3 Moulins et meuniers en Fenouillèdes - page 43

                 *4 d'Ille et d'ailleurs Caramany - page 27 

II. Le moulin de Caramaing sous l'Ancien Régime

cadastre napoléonien-1834II.1 Son implantation :

C'est sous l'appellation Mn de Caramaing qu'il figure sur la carte de Cassini 5. Il se situait sur la rive droite de l'Agly, à quelques mètres à peine de son lit majeur et au pied d'un petit ravin descendant du sud, le ravin de Camarère. Autant dire que lors des épisodes pluvieux d'automne, il a dû souvent être victime des caprices des eaux. Le site a été bien choisi à l'endroit le plus dégagé entre Ansignan et Caramany, sur la partie de territoire appelé le Jonquié (le lieu des joncs). Il est quand même à une bonne demi-heure de marche du village et relié à lui par "le chemin du moulin", appellation que l'on trouve sur le cadastre napoléonien et dont le tracé a été repris lors de la construction des routes départementales D9, le long de l’Agly, puis D21 sur la partie qui remonte vers Bélesta. Son passage a nécessité la construction de deux ponts pour traverser le rec dals Lluzens, juste avant la cave coopérative puis le rec de la Becède, à côté du lavoir municipal. Auparavant, il devait se faire un peu en amont de ces ponts et on peut donc penser que le transport de sacs de farine du moulin au village se faisait à dos de mulet. Ces travaux routiers, dans les années 1890, ont sûrement aussi été la cause de la disparition des bâtiments du moulin qui n'a laissé comme trace que la sortie du canal de fuite et un toponyme, le cortal del mouli, qui fait référence à une bergerie construite juste à côté. Si les travaux de la route ont fait disparaître le moulin, ceux du barrage en 1994 ont détruit la bergerie, car la totalité de la zone est actuellement immergée dans le lac. 

II.2 Quand commence son histoire ? 

Sa date de construction n'est pas connue. Les archives municipales possèdent une copie en date du 21 juillet 1791 de « La Recherche générale du lieu de Caramaing faite en l'année 1594 et le 5e jour du mois d'octobre ». Cette recherche mentionne non seulement le nombre d'immeubles bâtis, « trente maisons dont cinq cortals assez logeables » ainsi que la qualité et les superficies des terres cultivées. Elle fait aussi la liste précise « des pièces nobles appartenant au seigneur », vignes, jardins et champs, mais en aucun moment elle ne fait état d'un moulin. Il est peu probable qu'il ait été oublié, sachant la valeur qu'il aurait apporté au domaine.

S'il n'existait pas au XVIe siècle, notre moulin a été construit au XVIIe, car un meunier, Jean Fourcade, apparaît de manière certaine dans les textes en 1667. 

II.3 Les premiers propriétaires sont les seigneurs. 

Moulin banal, ce qui signifie que les vassaux doivent obligatoirement y faire moudre leur grain contre rémunération, le moulin de Caramany a donc été aux mains de trois ou quatre de nos familles seigneuriales, selon que l'on situe son origine avant ou après 1666. Car c’est en 1666 que Marie de Montesquieu apporte la seigneurie en dot à Jean Joseph Gaston de Rochechouart, dont la famille vendra Caramaing à Jean de Roger en 1711. Sachant qu'il y avait sur place un meunier début 1667, voire l'année précédente, il est logique de penser que ce sont les Montesquieu qui sont à l'origine du moulin. Sa construction se justifie d'abord par la possession par le seigneur de plusieurs hectares de champs de chaque côté de l'Agly. Elle trouve une deuxième justification dans l'augmentation continue de la population et donc des surfaces cultivées. Si le village ne comportait que 30 maisons en 1594, on dénombre un siècle plus tard 67 feux *1, c'est à dire environ 300 habitants. La dernière famille de la noblesse qui en sera propriétaire sera celle des Mauléon-Narbonne qui en héritera et le gardera en totalité jusqu'en 1792. L'inventaire des biens des émigrés à la Révolution nous apprend que le comte de Mauléon possédait en propre 18,76 ha de terres, en particulier au cortal del Mouli et au Jonquié *2, précisément à l'endroit où le moulin a été implanté. 

                   *1 Paroisses et communes de France, volume 66 par JP. Pelissier

                   *2 D'Ille et d'ailleurs Caramany - page 20 

II.4 Les meuniers se succèdent. 

Une fois le moulin en place, il faut le faire fonctionner et pour cela il est affermé à un meunier. Le contrat établi a pour conséquence l'arrivée d'une famille nouvelle qui repart à la fin de son bail ou qui, au contraire, fait souche dans la paroisse, contribuant ainsi à l'augmentation de la population.

La famille du meunier loge sur place car ce dernier doit entretenir les meules, qu'il faut piquer fréquemment, mais aussi le canal d'amenée ainsi que l'outillage et réaliser les réparations légères au moulin lui-même. Il améliore ses revenus en cultivant un jardin et en élevant quelques volailles et parfois un cochon. Dans les périodes où le moulin fonctionne, essentiellement de l'automne au printemps, il reçoit les villageois venus apporter leur grain, ce qui le fait connaître de tous. Toutes les familles dépendant de son activité pour avoir leur farine, il occupe une place sociale relativement importante. Cela lui vaut d'avoir dans les registres paroissiaux sa profession mentionnée comme les notables et les rares artisans et commerçants. C'est donc grâce aux curés que nous connaissons la présence au village de meuniers.

Le vin du meunier

Un certain Jean Fourcade ouvre la longue liste des meuniers carmagnols. Nous le découvrons au baptême de son fils Joseph en l'église Saint Etienne le 10 avril 1667 ; sa femme se nomme Isabeau Burgat. Comme l'indiquent leurs noms de famille, ils ne sont pas originaires du village et ne sont que de passage. Aucune autre naissance ne figure sur le registre que ce soit avant ou après 1667. On les retrouve ensuite à Soulatges, actuellement dans l'Aude, et c'est sur l'acte de décès de Jean, le 8 avril 1707, que son métier de meunier est indiqué. C'est un autre Fourcade, Guilhaume, peut-être un parent qui lui a succédé. En effet, en 1678, le curé de Lesquerde célèbre le 23 janvier le baptême de Guilhalme, fille de Marie Delale et Jean Pepil demeurant au moulin de Saint-Arnac et il mentionne dans son acte : « Son parrain a esté Guilhaume Fourcade musnier de Caramang » Le meunier Pepil n'ayant sans doute pas de famille à Lesquerde ou Saint Arnac a donc choisi pour parrain de sa fille son collègue de Caramany. C'est une preuve de la solidarité qui existait entre les membres de la corporation des meuniers ; nous allons en rencontrer beaucoup d'autres.

Mais Guilhaume Fourcade, lui aussi, n'a dû faire qu'un bref passage car aucun de ses enfants n'est né à Caramaing. Il a rejoint ensuite le   moulin de Saint Arnac, où on le retrouve le 11 août 1684, lors du décès de sa fille Jamme. D'après le curé de Lesquerde, la petite fille avait cinq ou six ans ; elle serait donc née soit en 1679 soit en 1678. Or le curé de Caramaing n'a enregistré aucune naissance de Fourcade ces années-là, ni avant. Il faut donc en déduire que Guilhaume Fourcade est arrivé au village avec sa femme et sa fille peu avant 1678.

Qui lui a succédé ? Peut-être Jean Barrière qui apparaît sur le registre paroissial le 10 mars 1695. Le curé Chaluleau baptise Jean Gély et note « le parrein a Esté Jean barrière, munier et la marrine Anne mouné de cette paroisse... » ce qui peut laisser un doute sur la résidence de Jean. Par contre, le 28 mai 1696, au baptême de Jeanne Grieu, le même curé mentionne « … Jean barrière musnier d'icy et la marrine Jeanne Faure, tous de la présente paroisse... »

Barrière est un patronyme très présent au Vivier et des demoiselles le portant habitent déjà à Caramaing ou à Cassagnes. Il y a même une Louise Barrière résidant en 1694 au Régatieu 6, qualifiée de "musnière" et ayant des liens de parenté forts sur Caramany avec Marie Barrière, épouse Ramond. Comme les meuniers constituent une véritable corporation avec des familles qui se transmettent le savoir-faire de père en fils et qui très souvent s'allient entre elles, il est fort possible qu'existe un lien de parenté entre Jean et Louise. D'ailleurs, c'est le mari de Louise, Étienne Estacet qui prendra la succession de Jean. Le couple habite déjà le village en 1696 ; en effet dans un acte du 15 janvier, Louise est à nouveau marraine et le curé Chaluleau indique que la marraine habite dans la paroisse. Son mari, Étienne commence à être le parrain d'enfants le 20 septembre 1696. Estacet n'est pas du tout un patronyme carmagnol, il pourrait provenir de Latour de France où l'on trouve une famille de ce nom en 1687. Dans l'acte cité précédemment comme dans celui du 12 mai 1697, son nom est orthographié Stacet.  Le 3 juillet il est à nouveau parrain, cette fois d'Estienne Richard, petit-fils de Marie Barrière. Notre bon curé Chaluleau écrit alors Estacet, il a modifié l'orthographe en même pas deux mois.

Et en changeant de curé, le nom a peut-être encore changé. Les actes du curé Fabre sont quelque peu surprenants. A la page 260 du registre, il inhume le 17 décembre 1708 un certain Estienne Ausset, âgé de cinquante-cinq ans environ, et à la page 261 il marie « Thérèse Hausset, fille de feu Estienne Hausset et Louise Barrière » A moins que Louise ait épousé deux Estienne, (mais comment aurait-elle pu avoir vers 1689, alors qu'elle était mariée avec un Estacet, une fille nommée Hausset ?), il faut conclure que Estacet est devenu Ausset. Cette hypothèse est confirmée par le fait que le premier patronyme disparaît et que le deuxième continuera à exister dans la paroisse. Toujours par le curé Fabre, nous apprenons qu’Estienne se fournissait en vin auprès de la Fabrique. Sur une page de brouillon précédant le livre de recettes, on peut lire « le 6 avril 1706, les marguiliers ont baillé le vin de l’œuvre au munier qui a promis de prendre tout le tonneau. »

Et ce n'est pas tout, quelques mois avant, le 5 juin 1708, le même curé avait rédigé un acte de mariage comme suit : « … entre Jacques dit meunier parce qu'il en a fait le métier, fils de parents inconnus et habitué dans cette paroisse depuis qu'il en estait enfant... »

mariage de Jacques dit meunier

Avec ce Jacques apparaît donc une autre catégorie de travailleurs, les aides meuniers. Il peut s'agir d'un ouvrier, qui connaît le métier mais qui n'a pas pu ou pas voulu s'établir comme maître, ou d'un garçon meunier qui lui est un apprenti. Ce Jacques qui n'a pas de nom de famille 7, selon une pratique réservée aux enfants de père inconnu, serait donc le premier ouvrier meunier travaillant au moulin seigneurial. Il est d'ailleurs très probable qu'il ait commencé son apprentissage avec Jean Barrière puisque le 28 décembre 1710, il a tenu à ce que son premier enfant, une fille prénommée Catherine, ait pour marraine « Catherine Fages, femme de Jean Barrière, munier habitant à présent dans la paroisse du Boulou en Roussillon ».  A suivre. 

Notes :

  1. Il est toujours intéressant de relire la description que fait de Caramany, autrefois village misérable, le docteur Companyo en 1861 – rubrique anecdotes, page 4 - 2012
  2.  Balderbe est une écriture phonétique adoptée lors de la dernière révision du cadastre. Son origine est Val d'erba en Occitan ou Vall d'herba en Catalan, la vallée de l'herbe.
  3.  Relire les comptes de la Fabrique - rubrique Histoire, page 2 - 2022
  4. En 2009 déjà, le Pari du lac, sous la plume de Philippe Garcelon, a fait allusion à ce cyclone mais avec un article du journal Le Gaulois : rubrique anecdotes, page 6
  5.  La carte de Cassini a été établie entre 1756 et 1790 ; vous trouverez plus de précisions dans l'article de la rubrique Histoire, page 9 - 2009
  6. Le Régatieu est un lieu-dit en bordure de l'Agly, sur la rive droite, à la limite de Cassagnes et de Rasiguères. Il comprend une grande métairie et un moulin. Il est aussi tout proche de Caramany et les relations entre les habitants du hameau et ceux des trois villages autour sont nombreuses. Les familles de meuniers passent facilement du moulin du Régatieu, le seul pour Rasiguères et Cassagnes à celui de Caramany.
  7.  Pour compliquer un peu plus la situation, le recteur Fabre a rajouté un mot au-dessus de Jacques : Autet ou Auset. Qu'à t-il voulu dire ? Lien avec les Ausset, désir de mettre un patronyme ? Sur l'acte de naissance de sa fille, conformément à des usages relevés çà et là par des généalogistes, son prénom devient le nom de famille de l'enfant qui s'appellera donc Catherine Jacques. Et le curé Fabre rebaptise encore une fois notre garçon meunier en le nommant Jaume Jacques. L'écriture du prénom en occitan évite alors d'écrire Jacques Jacques. 

 Sources : Les sources seront données à la fin de l'étude.

Photos:

1: La carte de Cassini (1770 à 1790) qui montre bien l'emplacement du moulin à farine sur les bords de l'Agly et les deux moulins à huile sur la Bécède. Géoportail

2: Le cadastre "napoléonien" (1834): le cortal del moli a été construit. Archives municipales

3: Note du curé Fabre par rapport à l'achat de vin effectué par le meunier à la Fabrique. En 1706, il s'agit d'Etienne Estacet. Archives départementales, registre  paroissial numérisé 1655-1737

4: mariage de Jacques dit meunier. Archives départementales, registre paroissial numérisé 1655-1737