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Les Carmagnols et la santé (deuxième partie)

 Les sages-femmes sous l'Ancien Régime : 

les fonts baptismaux« L'an de grâce mil six cents quatre-vingts treize et le vingt-cinquième jour du mois de mars, Je Jean Chaluleau, curé du présent lieu de Caramaing ay suppléé aux cérémonies du baptisme qui a esté administré par la femme sage Marguerite Bourda à Joseph Poumès... »

C'est en ces termes que nous avons la confirmation de la présence de sages-femmes au village au moins dès le XVIIe siècle, ce qui répond aux obligations décidées par l’Église comme nous l'avons vu dans la première partie. L'acte du curé Chaluleau est très intéressant pour les raisons suivantes : d'abord il emploie l'ancienne terminologie, femme sage encore utilisée dans le département de La Réunion et en Louisiane 1 ; ensuite, il nous confirme le rôle essentiel de la sage-femme pour l’Église qui consiste à sauver les âmes. C'est aussi la raison pour laquelle, compte tenu de la très forte mortalité des nouveaux-nés, les baptêmes se faisaient la plupart du temps le lendemain de la naissance, plus rarement au bout de deux ou trois jours. Il nous permet enfin d'établir une statistique : en sept ans, Jean Chaluleau a effectué 119 baptêmes et il n'a mentionné que trois fois l'ondoiement à la maison, celui réalisé par Marguerite Bourda, un second (en 1693 également) pour lequel il a officié lui-même, puis un autre en 1698 sans précision du nom de l'auteur, ce qui est un peu surprenant de sa part. Le pourcentage selon lequel on considère l'enfant en danger de mort est donc très faible, de l'ordre de 2,5%. Celui qui concerne l'ondoiement par la sage-femme l'est encore plus puisque on faisait appel au curé, s'il avait la possibilité d'arriver à temps.

A noter que le curé Lafilhe n'a jamais relevé cette circonstance en 37 ans; il est pourtant fort probable qu'elle a dû se produire, simplement il ne modifiait pas la façon de rédiger ses actes. Nous ne saurons donc pas de manière certaine si Marguerite Bourda était la première des sages-femmes carmagnoles, par contre il est quasiment certain qu'elle était déjà au service des femmes enceintes durant le temps de sacerdoce du curé Lafilhe. En 1657, elle est maman d'un petit Pierre et l'épouse d'un certain Pierre Bedos. Leur union ne figurant pas dans le registre, elle a eu lieu avant 1655 à Caramaing ou dans une autre paroisse mais pas après 1656.  En 1693, elle avait donc autour de la soixantaine, un âge assez avancé pour l'époque, et devait donc pratiquer des accouchements depuis plusieurs années. Peut-être même dès 1659, où elle figure comme marraine pour la famille Bedos auprès du chirurgien Jean Larrieu ; c'est certainement un indice qui laisseà penser que l'on prévoyait un accouchement difficile qui se serait bien terminé, puisque le baptême a eu lieu.

Marguerite Bourda n'était d'ailleurs pas la seule de sa corporation. Marthe Malet, originaire de Bélesta, s'était mariée avec Léonard Ramon, eux aussi avant 1656 puisque le 6 janvier de cette année-là, ils font baptiser une petite fille Catherine. C'est un acte en date du 7 août 1708 rédigé par le curé Fabre qui nous informe de son statut : « Je soussigné ay appliqué les cérémonies du baptême à un garçon du Sieur Jean françois  chauvet et de marie faure, mariés, le sacrement luy ayant esté conféré dans la maison en cas de danger de mort  par marthe malet sage-femme... »

Marguerite Bourda et Marthe Malet ont donc sensiblement le même âge ; elles ont aussi comme autres points communs de faire une longue carrière et de décéder à quelques jours d'intervalle en 1716. La première le 26 septembre, la deuxième le 4 septembre. Malheureusement pour nous, c'est le curé Molenat, lui aussi très sobre dans ses actes, qui procède à leur inhumation. Il note quand même que Marguerite est âgée de « nonante ans » et Marthe de « huitante ans ». Aucune des deux n'a droit à la mention de sage-femme. 

Qui leur a succédé ? 

Saint Antoine de PadoueApparemment Anne Bénet qui fait son apparition en 1727 dans un acte du curé Fabre particulièrement significatif du lien étroit entre la sage-femme et l’Église : « L'an mil sept cents vingt et sept et le 1er jour de l'an, ay appliqué les cérémonies du baptême à une fille de thomas poux et de marie sournia mariés, a qui on a don(n)é le nom Catherine, qui ayant reçu l'eau et baptisée dans la maison en cas de danger par anne Benet la sage-fem(m)e de la paroisse, et ayant recon(n)eu par la manière que ladite Benet m'a exposé quelle avoit fait, qu'elle l'avoit validement baptisée, j'ay cru que je ne devois pas la baptiser sous condition mais seulement suppléer les cérémonies...2 »

Anne Bénet , originaire de Caramany, se marie au village avec Balthazar Rolland le 9 novembre 1701. De 1702 à 1724, ils auront dix enfants, ce qui ne devait laisser guère de temps libre à Anne qui pourtant se met au service des autres femmes. Un service qu'elle ne pourra pas longtemps assurer car elle décède à 45 ans environ, le 27 janvier 1739. Elle non plus n'aura pas droit à la mention de sa profession. L'acte est rédigé par Pierre Cuguillière. Durant son ministère de 1735 à 1763 et celui de son successeur Antoine Cuguillère de 1763 à 1785 3, aucun ondoiement ne sera signalé et donc aucune sage-femme nommée.

Pour en retrouver une, il faut attendre l'arrivée d'un nouveau prêtre Jean Damien Montferrand qui introduit une nouvelle pratique, celle de distinguer dans la marge, les baptêmes, les ondoyements (sic) et les suppléments de baptême. Il faut remarquer qu'en moins de deux ans, il en note quatre. Il n'est donc pas possible qu'il n'y en ait eu aucun entre 1727 et 1785 ; leur absence sur le registre dépend bien de la volonté de chaque curé. C'est donc à peine arrivé qu'il nous révèle qu'Anne Marie Rolland a ondoyé un enfant d’Étienne Lounca et de Marie Charles. Le danger de mort était réel puisqu'on retrouve cet enfant dans le registre de sépulture, toujours sans prénom ce qui permet de dire qu'il est décédé dès la naissance et qu'il n'y pas eu de cérémonie supplémentaire.

Anne Marie Rolland avait épousé en 1771 Joseph Joulia ; veuve en 1787, elle poursuit sa mission et n'est pas la seule disponible en ces années d'avant la Révolution. Maître Montferrand signale aussi Catherine Richard en 1788. Elle ne réapparaît qu'en 1811 dans un acte du 16 pluviôse an IX. 

Les sages-femmes après la Révolution 

Les registres paroissiaux restent en fonction de 1789 à 1792 mais aucun ondoiement n'est signalé ces années-là.

Une fois l'état-civil instauré, en janvier 1793, il n'était plus question de parler de baptême, encore moins d’ondoiement. Les nouveaux formulaires exigeaient de citer un déclarant, la plupart du temps le père qui, assisté de deux témoins majeurs, informait l'officier public de la naissance d'un enfant mâle ou femelle, c'étaient les termes employés durant les premières années. La profession de ces trois personnes, l'identité de la mère bien sûr, celle de l'officier public ainsi que la date exacte de la naissance devaient être indiquées comme dans l'exemple qui suit :

1er acte de naissance

 Il est évident que les révolutionnaires ont voulu que les actes de l'état civil soient totalement différents de ceux rédigés autrefois par les curés et ne comportent aucune annotation religieuse. Les formules sont plus solennelles et plus standardisées, les identités plus précises ; les termes de mâle et femelle semblent donner un semblant de rigueur scientifique, mais ils font plutôt sourire et seront abandonnés au bout de quelques années. Deux différences moins évidentes sont également à noter :  de 1793 à 1800, la profession de sage-femme n'est jamais citée et pourtant une lecture attentive permet de dire que les habitantes de la commune (encore une appellation nouvelle) continuent de bénéficier des services de plusieurs sage-femmes, même si leur nom est parfois suivi de brassière ou cultivatrice.

Anne Marie Rolland est citée comme témoin le 27 août 1793 lors de la naissance de sa petite fille Marie-Louise Vaisse. Comment ne pas penser qu'elle a assisté sa propre fille Paule Joulia, épouse Vaisse ? Et elle est à nouveau témoin le 6 septembre 1793, puis le 19 pluviôse de l'an III de la République (4 février 1795), auprès de Catherine Alquier, épouse de Jean Rolland. Elle disparaît ensuite des registres mais il est certain que dès cette époque elle a des consœurs beaucoup plus actives, Josephe Badie et Jacquette Dalou. Je pense que cet "oubli", voire cette interdiction de noter la qualification de sage-femme, vient peut-être du fait que les autorités républicaines ne souhaitaient pas faire mention d'agréments accordés par l'Eglise. Or il a fallu une bonne dizaine d'années pour qu'une loi (10 mars 1803) reconnaisse cette profession, d'où sa réapparition dans les registres.

La deuxième différence que j'interprète comme un effet remarquable de la Révolution, c'est que les femmes étant devenues des citoyennes, elles peuvent être témoins, souvent second témoin mais parfois premier. J'ai même pu lire plusieurs actes où deux femmes étaient témoins. Une sage-femme, après l'officialisation du métier, pouvait même, dans des cas bien précis, être déclarant : c'est le cas de Josèphe Badie épouse Foussat, qui, le 15 juin 1809, vient de mettre au monde une petite fille de Marguerite Laforgue et de père inconnu. Trois mois plus tard, une autre sage-femme Jacquette Dalou se trouvera elle aussi dans la situation de déclarant mais pour une raison différente qui interroge. Le père n'est pas inconnu mais il demeure à Lesquerde. Or, il est trois heures de l'après-midi, d'après le secrétaire Joseph Grand, lorsque Jacquette Dalou se présente en mairie flanquée des deux témoins réglementaires en l’occurrence Jean Pla et Pierre Foussat, son mari. L'accouchement a eu lieu la veille à dix heures du soir. Pourquoi le père, Jean Boutonnier, n'est-il pas revenu de Lesquerde dans la nuit ou la matinée ?

Nous voilà donc en cette fin de siècle avec au moins trois sages-femmes : Anne Marie Rolland Josèphe Badie et Jacquette Dalou. Ce nombre peut paraître élevé mais il faut prendre en compte qu'en 1793, le village comptait 433 habitants, ce qui représente 21 naissances dans l'année, et que les sages-femmes étant aussi mères de famille nombreuse, elles n'étaient pas toujours libres. Pour preuve la naissance de Rose Calvet le 5 vendémiaire de l'an IX pour laquelle le second témoin a été Françoise Boyer « ayant fait les fonctions de sage-femme ».4

Faisons plus amplement connaissance avec ces femmes dévouées :

Josèphe Badie est née vers 1744 5 ; elle a d'abord été mariée à Louis Badie avant 1766. Elle se remarie en 1790 avec Pierre Foussat avec qui elle aura aussi des enfants. Elle est citée comme témoin pour la première fois le 22 novembre 1793, puis est très présente lors des accouchements en particulier en 1797, 1798, 1801 et 1802. Elle décède le 22 juin 1815 à 70 ans.

Jacquette (souvent orthographiée Jaquette) Dalou est née le 30 janvier 1745 à Saint-Paul de Fenouillet et a épousé à Caramany Pierre Lajou le 17 février 1767. De 1768 à 1787, ils ont eu huit enfants, ce qui peut expliquer que Jacquette ne soit devenue sage-femme qu'après la Révolution. Elle est citée de nombreuses fois comme témoin et son statut est confirmé, contrairement à Josèphe Badie, bien avant 1809. Nous devons hélas cette information à un événement dramatique survenu dans la nuit du 8 prairial de l'an VII, soit le 27 mai 1799. A trois heures du matin, l'officier d'état-civil, Jean-Baptiste Laforgue 6 est réveillé par le citoyen Michel Surre qui lui déclare que « Marianne Fage, son épouse en légitime mariage est accouchée d'un enfant male dont la vie se trouve en péril imminent. » Il se rend donc au domicile de la famille Surre où il trouve « le citoyen Cyr Vaisse, officier de santé et Jacquette Lajou sage-femme ». La présence de ces deux praticiens prouve bien que l'on s'attendait à un accouchement difficile. Jean-Baptiste Laforgue, constatera la naissance d'un garçon prénommé Michel puis son décès. Étant illettré, il fait immédiatement rédiger par son secrétaire un acte qui sort de l'ordinaire, d'abord parce qu'il porte dans la marge du registre des naissances « Michel Surre décédé dessuitte », ensuite parce qu'il se termine par la formule « Fait en la maison du citoyen Michel Surre les jours, mois et an cy dessus ».

 Quelques jours plus tard, Jaquette Dalou (elle récupère son nom de naissance) sera à nouveau présente sur le registre en tant que témoin avec son mari Pierre Lajou. Le déclarant est leur fils Ambroise Lajou. Jacquette vient donc d'accoucher sa belle-fille Anne Marie Jasse qui a mis au monde une petite Marianne. Mais cette fois-là, tout s'est bien passé.

Elle décède le 23 avril 1812 à la métairie du Régatieu, rattachée à la commune de Cassagnes. Mais elle aura préparé sa succession en la personne de sa propre fille Paule Lajou. 

naissance M.Surre

Une nouvelle génération 

Cette dernière est mariée à Jean-Pierre Bedos dit Poubil et elle prendra le relais assez tôt. En effet, le 17 germinal de l'an XI, soit le 7 avril 1803, elle assiste à l'âge de 31 ans et alors qu'elle a déjà quatre enfants, Josèphe Badie lors de la naissance du petit Marc Blanquier.

Veuve en 1809, elle se remarie avec Baptiste Gély-Fort et décède le 10 juillet 1837 à 65 ans. Elle ne sera pas la seule en fonction durant ces années-là. Il est plus difficile de retrouver les traces de cette nouvelle génération de praticiennes car, à partir de 1803, le rôle de témoin devient privilège masculin. Les sages-femmes ne seront donc citées que lorsqu’il n'y a pas de déclarant : père inconnu et grand-père ou oncle ne souhaitant pas faire la déclaration. C'est ainsi que les registres dévoilent l'existence de Françoise Estève, de Sophie Ribot* et de Catherine Bergès

Françoise Massé, épouse de Jean Estève, berger de son état, est bien de la génération de Paule Lajou puisque née autour de 1770. Son nom figure dans les actes en 1818, 1825 et 1829.

Sophie Ribot est née en 1809 à Caramany ; elle épouse en 1825 le Carmagnol Pierre Ribes et exercera son art probablement de 1830 à 1872, date de son décès à 63 ans.

Catherine Bergès est un peu plus jeune. Née d’une mère carmagnole à Caramany en 1816, elle épouse un cultivateur Pascal Bedos en 1839. Son métier est bien indiqué dans l'acte de mariage de sa fille en 1876 et lors de son décès en 1890. Elle l'exercera jusqu'au bout puisque le 5 juillet 1889, elle déclare encore un enfant né de père inconnu.

Sa succession sera assurée par Marie Gillard qui a été formée très jeune. Le 24 avril 1877, lors de son mariage avec Jean Procope, elle n'est âgée que de 19 ans et pourtant elle est déjà clairement identifiée comme sage-femme. Elle aura une longue carrière jusque dans les années 1930. Ce sera elle qui mettra fin à la lignée des sages-femmes de Caramany.

 

Notes: 

  1.  Le site jaimelesmots.com considère que la femme-sage est juste l'appellation de sage-femme, utilisée en Louisiane et à La Réunion, alors que la femme sage, sans trait d'union, est une femme dotée de sagesse. Pourtant l'acte du curé Chaluleau prouve bien qu'on utilisait aussi cette appellation en France au XVIIe siècle. Je l’ai aussi retrouvée sur les registres d’autres paroisses.
  2.  La petite Catherine Poux a survécu à l'épreuve de la naissance et du baptême, mais est décédée, un peu avant son troisième anniversaire, le  27 octobre 1729
  3.  Voir l'étude sur les curés, rubrique Histoire-2022
  4.  Le 19 juillet 1842, à quatre-vingt deux ans elle déclarera la naissance d'Elisabeth Lajou dont la maman Paule est une nièce de la sage-femme Paule Lajou.
  5.   le 25 brumaire an III soit le 15 novembre 1794, le maire Charles Chauvet indique, lors de la naissance de Angèle Bedos Marquet, la présence comme deuxième témoin de « Josèphe Abadie (on trouvait parfois cette écriture), âgée de 50 ans... » Sur son acte de décès figure (et c'est unique) le patronyme de Baille. Comment s'appelle-t-elle réellement ?
  6. De 1795 à 1800, les municipalités étaient regroupées au canton, chaque commune ne disposait qu'un agent municipal, c'était donc Jean Baptiste Laforgue. 

Sources orales :

Entretiens avec  Monsieur René Grieu, (les métiers à Caramany dans les années 1930)

Sources numériques :

 https://www.ledepartement66.fr/lesarchivesenligne   Archives départementales des PO

–        registres paroissiaux de Caramany – 1655/1792

–        registres d'état-civil  de Caramany – 1793/1900

–        registres des états nominatifs des habitants de Caramany (recensements)

–        registres paroissiaux de Bélesta, de Latour de France et de Trévillach

https://www.caramany-paridulac.fr rubrique Histoire : Les curés de Caramany, page 1 ; Les années en 3, Des éclats de voix au Conseil municipal, page 7 - rubrique Découvrir : Le silence des statues page 3

https://www.geneanet.org  Geneanet: communauté de plus de 4 millions de membres qui échangent des informations généalogiques 

Sources écrites :

Médecins et chirurgiens, magazine Nos ancêtres-Vie et métiers, mars-avril 2006

Photos :

1: les fonts baptismaux de l'église Saint Etienne. Toujours en service depuis plus de 500 ans, ils ont servi à baptiser des milliers de Carmagnols. Tous les curés dont les noms nous sont connus par les registres les ont utilisés. Cliché Philippe Garcelon

2: Saint Antoine de Padoue, protecteur des enfants trône dans l'église. Cliché Philippe  Garcelon

3: C'est le premier acte de naissance de l'état civil. La rédaction est uniformisée pour toutes les communes. A noter que le premier officier d'état civil est le curé Montferrand. Cela ne durera pas. Archives départementales registre numérisé 1793-an IX vue 2.

4: L'acte à la fois de naissance et de décès de Michel Surre, rédigé chez ses parents. Archives départementales - registre numérisé 1793-an IX vue 56