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Barrenc, grottes et autres cavités...

Quel Carmagnol n'a pas entendu parler du chien tombé dans une fissure rocheuse puis réapparu à Ille sur Têt, ou encore de la grotte des « deux yeux » au fond de laquelle on entendrait couler de l'eau ?

Le caractère parfois anecdotique de ces récits, que chacun agrémente d'une surenchère de détails tous plus extraordinaires les uns que les autres, mérite qu'on s'arrête un instant pour essayer de comprendre ce qu'il en est.

la PangéeDès qu'il est question de cavité naturelle, on pense spéléologie ou géologie. Quelques recherches sur la base de diverses études géologiques, effectuées dans les environs de Caramany, soulignent une spécificité sur laquelle il est utile de se pencher.

Ainsi, les différentes strates géologiques présentes dans la proximité du village, traduisent une histoire qui puise ses origines au Jurassique, il y a plus de 300 millions d'années (Ma). Les continents actuels étaient alors regroupés, comme le montre le schéma ci-contre, en une forme homogène nommée Pangée.

La Pangée étant, elle-même, issue du regroupement de deux super-continents bien antérieurs nommés « Protogondwana » et de « Laurussia », entrés en collision au début du Carbonifère (- 360 Ma) en donnant naissance à d'imposantes chaînes de montagnes, nommées « massifs hercyniennes ».

Massifs hercyniensSur la carte ci-dessous, les zones colorées en bleu représentent ces massifs disséminés sur une partie de l'Europe. On y reconnait une chaine qui occupe la zone pyrénéenne et dont les plus hauts sommets atteignaient probablement des altitudes voisines ou supérieures à celles de l'Himalaya actuel.

A la fin du Carbonifère, pendant le Permien (dernière période de l'ère primaire -300 à -250 Ma) et le Trias (première période de l'ère secondaire : -252 à -201 Ma), cette chaîne hercynienne sera progressivement rabotée sous l'effet de l'érosion jusqu'à être réduite en une pénéplaine laissant apparaitre des socles de roches magmatiques, granitiques ou métamorphiques (ces dernières résultant d'une recristallisation de roches plus anciennes sous l'effet de la chaleur et de fortes pressions), ainsi que des roches d'origine sédimentaire comme les marbres et schistes.

C'est précisément de la partie la plus orientale de ce massif hercynien (zone signalée en rouge sur la carte) que provient le socle de gneiss de Caramany 1 sur lequel est assis notre village. Ce gneiss est daté du précambrien 2. Le Précambrien est une période assez méconnue qui débute aux origines de la formation de la Terre, il y a environ 4.56 milliards d'années et s'achève il y a 540 Ma au début du Paléozoïque (également nommé ère primaire).

Plaques ibérique et eurasienneEntre - 200 et -85 Ma, le Fenouillèdes est recouvert par les eaux. L'Espagne actuelle est une île, nommée plaque Ibérique, qui ne touche pas la plaque Eurasienne (Europe) ou se situe la France d'aujourd'hui (voir croquis ci-contre).

Durant cette longue période se produit une sédimentation qui donnera les calcaires (Jurassique: -200 à -145 Ma) et les marnes noires (Crétacé : -145 à -65 Ma) aujourd'hui présents dans nos paysages. Durant le Crétacé, le couloir recouvert par les eaux qui séparent la plaque ibérique et la plaque eurasienne mesure environ 200 km de large. Il se situe approximativement sur l'emplacement de l'actuelle chaîne pyrénéenne.

Pendant ce temps, la dérive des continents continue et la Plaque Ibérique qui s'est d'abord décalée vers le sud-est, amorce un mouvement remontant sous la poussée du continent africain . Nous sommes au début de l'ère tertiaire (- 35 Ma), la Plaque Ibérique s'emboite sous la Plaque Europe, donnant lieu à la naissance de la chaîne des Pyrénées.

Mais la collision de ces deux blocs donne également lieu, à une époque plus récente encore (- 5 Ma), à une phase de compression des anciens sédiments qui vont se plisser comme le montre la coupe géologique3 ci-dessous, en dessinant les formes originelles d'une partie de nos paysages actuels, c'est par exemple à cette époque qu'est apparu le plissement qui a donné naissance à la masse rocheuse du Pic de Bugarach.

Coupe géologique de la vallée de l'Agly

Bien sûr, on doit garder à l'esprit que tous ces mouvements que je décris ici de manière réductrice, se déroulent sur des périodes de temps difficiles à appréhender pour l'homme.

Je ferais une courte remarque à ce propos, en soulignant les écarts abyssaux qui séparent les échelles géologiques de nos propres référentiels temporels, tout au plus ancrés dans une réalité qui n'excède pas la durée de nos vécus respectifs. Les autres conceptions du temps 4 auxquelles nous faisons appel n'étant que des représentations mentales. Cette perception fluctuante des durées est une des raisons qui nous fait paraitre le temps d'autant plus court que nous sommes âgés et, inversement, d'autant plus long que nous sommes jeunes, sensation que chacun de nous a déjà ressentie.

Il est donc impossible pour notre imagination de se faire une idée du temps qui fut nécessaire à la plaque ibérique pour venir au contact du bloc Europe. Le rapprochement de ces deux plaques distantes de 200 km s'est en effet produit à une vitesse dont l'ordre de grandeur est voisin de 5.5 millimètres par an. On ne peut ici que calculer un chiffre ( 200.000.000 mm : 5.5mm/an  = 35.000.000 ans ) tout en étant bien incapable de comparer ces 35 millions d'années avec nos durées de temps usuelles.

Mais revenons à nos considérations géologiques et au schéma de plissement des strates qui permet de comprendre comment une couche initialement horizontale peut se retrouver aujourd'hui avec une disposition verticale. Ces plissements présentent l'intérêt de mettre à jour des couches profondes et riches de multiples minéraux. L'exploitation ancienne du fer en Fenouillèdes, déjà évoquée dans notre article, en est un exemple, tout comme  les carrières de Lansac ou Calces exploitées par le groupe industriel Imerys  pour la production du feldspath (le feldspath est utilisé, entre autre, pour la fabrication de céramiques, de verre ou d'additifs fonctionnels entrant dans la composition d'une multitude de produits comme les peintures, les produits de la métallurgie, etc...)

On remarquera aussi sur cette coupe la présence de lignes de failles (traits noirs gras verticaux) correspondant à des glissements de plis, les uns contre les autres et qui, avec d'autres fissures secondaires, sont autant de voies d'infiltrations possibles pour les eaux de pluie ou de ruissellement, à partir desquelles vont s'établir les réseaux karstiques.

On peut également noter la présence de l'importante faille « FNP » (faille nord-pyrénéenne) matérialisant la zone de jonction entre les deux plaques tectoniques ibérique et eurasienne citées précédemment et qui, conjointement avec de nombreuses autres failles profondes de la vallée de l'Agly, favorise les manifestations sismiques.

carte activité sismiqueA ce propos, la carte5 ci-contre localise l'activité sismique lors du tremblement de Terre de Saint-Paul de Fenouillet le 18 février 1996 et montre également l'important faisceau de failles du massif de l'Agly.

Enfin, quelques sources du Fenouillèdes dont les eaux coulent à des températures anormalement élevées, attestent aussi d'une circulation profonde des eaux. C'est par exemple le cas de la source de la Fou à Saint-Paul de Fenouillet (22°2 à 26°6 C), de celle de la Mouillère à Maury (23°8 à 24°2 C) ou encore des eaux de la Dout6 qui alimentent Caramany et qui émergent entre deux couches géologiques distinctes (calcaire mésozoïques et gneiss) à la température constante de 18°5.

Mais alors, quelle relation y a-t-il entre toutes ces considérations géologiques et le chien tombé dans un trou ou l'eau que l'on entend couler au plus profond d'une grotte ?

Et bien, tout simplement, si l'histoire géologique que je viens d'évoquer avait été autre, il n'y aurait pas eu de réseau karstique dans le sous-sol carmagnol, notre chien ne serait tombé nulle part et personne n'aurait entendu de l'eau couler au fond d'une grotte.

Un rapport7 du BRGM recense 734 cavités naturelles dans le département des Pyrénées-Orientales dont une majorité d'origine karstique (altération chimique des roches calcaires).

Trois de ces cavités naturelles recensées, se situent sur la commune de Caramany :

1 : Source de la Dout : exurgence pérenne, impénétrable, dans des calcaires marmorisés du secondaire. Débit moyen : 18 m3 /heure. (http://www.bdcavite.net/fiche.asp?INIT=on&IDT=LROAA0011463)

2 : Exurgence des couloumines : exurgence impénétrable dans des calcaires marmorisés du secondaire. Débit de 3.6 à 10 m3/heure. (http://www.bdcavite.net/fiche.asp?INIT=on&IDT=LROAA0011565)

3 : Barrenc du chien : Profondeur de 18 mètres en deux puits. Premier puis de 10 m suivant une diaclase et 2ème puis de 5 mètres. Importante coulée de calcite à l'entrée qui est collée contre la paroi de l'aven. (http://www.bdcavite.net/fiche.asp?INIT=on&IDT=LROAA0011675)

4 : Une quatrième, localement nommée « grotte des deux yeux » que je me propose d'évoquer dans les lignes qui suivent n'y figure pas. Ce qui laisse entendre que le recensement cité n'est pas exhaustif.

A partir du site « infoterre8 », j'ai effectué la superposition d'une carte géologique et d'une carte IGN sur laquelle j'ai positionné ces quatre cavités naturelles. Les lignes noires continues et en pointillés matérialisent respectivement les failles et les failles masquées qui traduisent le morcellement conséquent de cette zone.

Carte géologique des environs de Caramany

Maintenant que nous avons vu l'aspect géologique, nous pouvons enfin mettre nos chaussures de marche et commencer à escalader les pentes à la recherche des deux cavités pénétrables, le « barrenc du chien » et la « grotte des deux yeux ».

A titre anecdotique, je dois avouer que j'ai cherché bien longtemps les accès à ces cavités. Initialement, les seuls renseignements dont je disposais étaient des localisations « verbales » données par Roger, Jean-Louis, Alain ou Gérard... et qui m'ont ont valu bien des heures de transpiration ainsi que de sanglantes égratignures sur les mollets. Plus je m'acharnais dans mes multiples tentatives, plus l'objectif à atteindre devenait à mes yeux important. Il m'est même arrivé d'escalader les coulées rocheuses au pied du  « trou de l'Aigle »... pendant mon sommeil et de me réveiller en sursaut avec cette impression d'avoir fait une chute vertigineuse dans le vide... Un seul moyen de mettre fin à cette recherche qui virait à l'obsession, il fallait trouver !

Pour cela j'entrainais avec moi quelques proches qui acceptèrent de m'aider. Vers la fin du mois d'août 2013, ce fut le cas d'un ami carmagnol qui prit le temps d'effectuer des recherches topographiques préalables et, fort des coordonnées qu'il avait recalculées et converties (et oui, il existe une multitude de coordonnées différentes) il s'est lancé à la recherche du « barrenc du chien ».

Le lendemain, sans même qu'il ait eu à me dire quoi que ce soit, j'ai vu à sa physionomie qu'il avait réussi. Nous fûmes alors prompts à l'accompagner sur les lieux pour enfin apercevoir l'entrée de cette cavité.

L'ouverture se présente sous la forme d'une longue fente qui dans sa partie la plus large donne accès à un puits vertical dont l'approche semble suffisamment dangereuse pour être réservée aux seuls spéléologues avertis et bien équipés.

barrenc du chien

Une fois sur place, après avoir bien repéré les lieux, nous avons poursuivi notre progression vers une autre zone rocheuse, située en surplomb de la partie basse du « ravin d'en Sérène » à la recherche d'une autre cavité  nommée le « trou de l'ogre ». Cette cavité de taille assez réduite possède un boyau qui permet de ressortir sur la face opposée à son entrée qui, comme le montre la photo ci-après, s'ouvre sur une paroi verticale. Notre exploration ne nous à pas permis d'y trouver d'autres voies pratiquables. Il semble que des affaissements de roche soient venus obstruer une probable zone souterraine plus conséquente. Nous avons, à cette occasion, remarqué les plissements tourmentés de la roche qui témoignent de l'activité géologique évoquée au début de cet article.  Nous y avons enfin découvert des traces de creusement et restes de remblais, probablement issus de fouilles archéologiques « sauvages ».

Trou de l'ogre

Une rumeur avait circulé dans le village qui mentionnait, il y a environ une vingtaine d'années, des individus équipés de barre à mine, ayant pillé des cristaux et autres formations calcaires dans ces cavités et ayant eu recours à l'usage d'explosifs pour mener à bien leur actes illicites. Les traces de manquement que nous avons pu contacter lors de nos visites ultérieures semblent malheureusement attester le bien fondé de cette rumeur. Lorsqu'on sait les dizaines de milliers d'années nécessaire à la formation de ces cristallisations minérales, on ne mesure que mieux le caractère irréversible de ces exactions et l'atteinte au patrimoine naturel qu'elles représentent.

entrée de la grotte des deux yeuxEn novembre 2013, encouragés par nos trouvailles estivales, nous décidons de retourner à la recherche de celle qui nous tenait le plus à cœur, « la grotte des deux yeux ».

Cette fois, Bernard est à la manœuvre. Il nous guide sur les terrains escarpés située à l'est de la partie médiane du ravin de la Dout. Après environ deux heures de pérégrinations et de dérapages incessants sur des zones caillouteuses avec quelques rattrapages périlleux aux branches des maigres buissons qui peuplent les lieux, nous n'avions toujours rien trouvé. Ce n'était pas faute d'avoir à maintes reprise monté et descendu ce versant escarpé en zigzagant avec méthode pour couvrir la zone du mieux que nous le pouvions, comme nous nous y étions employé durant l'été, mais nous commencions à douter sérieusement et je désespérais de ne jamais trouver cette « fichue » grotte.

Nous étions, une fois de plus, sur le point de renoncer, d'autant que le vent qui soufflait sur nos habits mouillés de sueur commençait à nous procurer une désagréable sensation d'inconfort. A croire que même les éléments étaient contre nous! Nous étions alors tous trois distants d'une vingtaine de mètres, à hauteur des deux-tiers de la pente et quasiment en vis-à-vis du trou de l'Aigle, lorsque j'entendis retentir la voie de Bernard. Dans un premier temps n'osant y croire, j'imaginais qu'il venait de se faire une entorse à une cheville. Mais, force fut de constater qu'il venait de découvrir l'entrée. Une fois de plus le but était atteint. Alors que nous descendions vers lui qui se tenait face à la cavité qui s'ouvrait devant nous, je ne pus m'empêcher de le congratuler, tant sa découverte venait de me libérer d'un poids.

Première salleUn rapide coup d'œil vers l'intérieur laissa apparaitre une première salle dont l'accès ne présentait aucune difficulté particulière, si ce n'est qu'il convient de faire preuve d'un minimum de souplesse pour se faufiler par l'orifice situé sur la paroi pentue, comme le montre l'image ci-dessus.

Pas plus tôt à l'intérieur, nous nous retrouvons dans un monde silencieux, le vent qui fouettait nos visages n'est même plus audible et la température nous parait d'une douceur inhabituelle.

La première salle, vue depuis l'intérieur, laisse clairement apparaitre les restes d'un bloc massif qui s'est décroché de la voute. Quelques concrétions en forme de choux fleurs rappellent le travail de dissolution de la roche par les eaux. Et des colorations rousses ou vertes, dans les zones faiblement éclairées par la lumière du jour attestent de la présence d'une végétation microscopique caractéristique de ces milieux.

accès à la seconde salleJe note même la présence de quelques chauves-souris que notre présence ne semble pas importuner outre mesure.

Derrière ce bloc central s'ouvrent différentes voies accessibles, dont certaines conduisent vers des boyaux trop resserrés pour permettre une progression aisée. Une autre voie qui s'amorce, débute en pente douce sur quelques mètres pour déboucher rapidement sur un accès plus pentu à une seconde salle.

Divers orifices se présentent à nous dans lesquels une visite de repérage rapide nous laisse envisager qu'il conviendrait de revenir en ce lieu mieux équipés que nous ne le sommes, pour en effectuer une exploration plus complète.

Je rappelle à ce propos que ce type d'exploration spéléologique est réservé aux spéléologues expérimentés et qu'un néophyte ne saurait s'aventurer dans de tels endroits sans courir de gros risques.

exploration d'un boyau

Voilà donc comment, à partir de petites anecdotes, j'ai trouvé une occasion de découvrir la géologie des lieux et quelques unes de ses conséquences. Et comme il est de coutume, je me devais de partager cette expérience avec le désir secret de pouvoir lui donner une suite à l'occasion d'un prochain article.

Notes et sources:

  1. Le « gneiss de Caramany » est un gneiss particulier, gris quartzo-feldspathique à grenats et cordiérite. Voir aussi ici.
  2. Compte rendu de l'Académie des Sciences de Paris : « la structure de l'Est des Pyrénées- transversale du massif de l'Agly » st.312, série II, p.913-919. 1999.
  3. Carte et notice explicative BRGM de la carte géologique N°1090 (Rivesaltes)
  4. « Les tremblements de Terre dans les Pyrénées-Orientales et en Catalogne » par Gérard Soutadé. Edition du Traboucaire '-1998.
  5. « Spéléologie et hydrologie des massifs calcaires de Pyrénées -Orientales » par Henri Salvayre. ( tiré à part de la revue « Conflent »-1977. Aujourd'hui épuisé)
  6. Site du BRGM( bureau de recherche géologique est minière) libre d'accès, sélectionner la version standard du visualiseur des données scientifiques.

 

 Photos: Philippe Garcelon.