Pauvres Carmagnols !

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Publié le: 27/03/2012

Auteur: Bernard Caillens

De la Révolution au XX^ème siècle, nombreuses sont, dans les registres municipaux, les délibérations qui insistent sur la situation précaire de la commune, le manque de ressources, la pauvreté des habitants...

S'il est de bonne guerre de noircir un peu le tableau lorsqu'on veut éviter des impositions supplémentaires ou au contraire réclamer un complément de subvention, il faut pour être crédible que les arguments développés reposent sur un fond de vérité.

Et lorsqu'on lit la description de Caramany qui suit, on se dit que nos élus d'autrefois n'exagéraient pas.

Jugez -en vous mêmes:

« Après quatre kilomètres de marche, sur une route mal tracée, l'on arrive à Caramany, village autrefois misérable; mais aujourd'hui par la culture de toutes les collines qui constituent son maigre territoire, on est parvenu à améliorer sa condition. On a planté beaucoup de vignes¹; mais comme elles se trouvent sur une terre ingrate et sur des pentes trop raides, les orages viennent ravager ces plantations. Les bas fonds sont assez productifs depuis la construction d'un canal d'arrosage; ce canal a vivifié un sol schisteux et granitique, comme celui d'Ansignan, et a contribué à donner un peu d'aisance aux habitants, que des routes impraticables et la position éloignée du centre du département empêchent de se livrer à aucun genre d'industrie. »

 On se mettrait presque à pleurer en pensant aux générations qui nous ont précédés. Vous pensez peut-être que l'auteur évoque le Moyen Age ou le règne de Louis XIV. Pas du tout, c'est de Caramany au milieu du XIX^ème siècle, dont il nous parle.

 L'histoire naturelle du département des Pyrénées orientales

Le tome 1er de cette Histoire naturelle a été publié en 1861. Son auteur, le docteur Louis Companyo, chirurgien des armées de profession mais naturaliste passionné a créé le Muséum d'histoire naturelle de la ville de Perpignan. Il n'est pas question de mettre sa parole en doute: n'étant pas élu du village il n'avait lui, aucun intérêt à noircir le tableau. Il indique d'ailleurs dans sa préface qu'il s'est appliqué surtout à faire des descriptions exactes. Tout au plus pourrait-on reprocher à son style littéraire une tendance à forcer le trait dans un sens comme dans l'autre. Car si pour Caramany les qualificatifs décrivant une situation difficile sont nombreux (je les ai signalés en gras) il trouve que « le territoire d'Ansignan forme un vallon bien cultivé qu'arrosent les eaux de l'Agly au moyen d'un pont aqueduc de l'effet le plus pittoresque et le plus gracieux. La terre est couverte de moissons et de fraîches prairies. » Quant à Cassagnes qui suit Caramany, c'est le jardin d'Eden. « Le territoire de Cassagnes forme un vallon bien cultivé où l'on récolte des produits variés; les pentes des collines sont plus adoucies, la terre végétale plus profonde et les vignes qui garnissent les coteaux donnent des vins de meilleure qualité. Les jardins produisent de bons légumes et d'excellents fruits... De nombreux troupeaux parcourent de vastes pacages et des prairies fraîches et riantes bordent les rives de l'Agly. Enfin l'on s'aperçoit que l'on est rentré dans une zone moins désolée² et que l'on s'approche de la belle plaine de Latour. »

 Quel contraste !

Un aspect plus attrayant:

Le style littéraire du docteur Companyo n'enlève rien à la valeur documentaire de son texte qui montre que la vie en milieu rural n'était pas facile et que de tous temps, nos paysans qui sont partis à l'assaut des collines en construisant des murettes, des rigoles d'évacuation, des citernes , ont eu beaucoup de mérite. Caramany a certes, du fait de l'exode rural et aussi de son éloignement des petites villes, comme le soulignait L Companyo, perdu beaucoup de sa population. Mais je tiens à rassurer les lecteurs qui ne connaissent pas encore notre village; le progrès technique est arrivé, les routes sont praticables, les vins de Caramany sont reconnus et appréciés, les habitants disposent de la TNT, de la téléphonie mobile et d'Internet et cerise sur le gâteau, un magnifique lac s'étire au pied du château pour le plus grand plaisir des randonneurs, des pêcheurs et des touristes.

Que de changements trouverait le docteur Companyo s'il revenait en ce XXI ème siècle!

Notes:

1. Mis à part la pauvreté qui règne sur le territoire carmagnol, la visite du docteur Companyo nous apprend que la reconversion du territoire en vigne avait déjà commencé en 1860.
2. Pour atténuer cette désolation, il sera bon de relire (dans cette même rubrique Florilège) les informations publiées quelques années après mentionnant les productions fruitières de Caramany (1874) et le miel exquis (1891) et de consulter le site des Vignerons de Caramany qui met en valeur nos vins plusieurs fois primés.

Sources:

•  "Histoire naturelle du département des Pyrénées Orientales" par le docteur Louis Companyo Perpignan 1861

Photo:

Une photographie du début du XX^ème siècle qui aurait pu illustrer la description du village par L. Companyo.Le château et le quartier du Rec. Pas d'eau courante, de "tout à l'égout", d'électricité. Le lit du ruisseau n'a pas non plus encore été domestiqué. (A noter l'erreur sur la légende de la carte postale, car ce n'est pas du tout l'église que l'on voit mais le château.)

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