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La libellule

La frissonnante libellule
Mire les globes de ses yeux
Dans l’étang splendide où pullule
Tout un monde mystérieux ...

Victor Hugo nous plonge en quelques mots dans un univers diaphane et féérique. Mais connaissait-il bien cet insecte qui sillonne le bord des eaux de son vol imprévisible, aux brusques et sûrs changements de trajectoires, dont la précision n’a d’équivalent que la propension prédatrice qui les anime ?

La libellule est "universelle":

Cette demoiselle, car tel était son nom usuel au XVIIIème siècle, a donné lieu à de multiples récits que l’on retrouve dans les mythologies de nombreux continents. Parmi les plus récentes croyances attachées à la libellule, on trouve une légende qui remonte à l’arrivée massive de colons européens en Amérique. La menace de la libellule terrorisait alors les enfants. Cet insecte était supposée venir pendant leur sommeil, coudre les yeux et les oreilles de ceux qui n’avaient pas été sages durant le jour. Le nom anglais de la libellule: dragonfly (dragon volant) est à ce titre très évocateur.

Selon les indiens Sioux de la tribu Lakota , dont Sitting Bull fut un illustre chef, la libellule apprenait à l'homme à discerner le réel de l’imaginaire. Les illusions que son vol suscitait montraient que les choses ou la vie elle-même n’étaient pas toujours comme elles nous apparaissaient et nous semblaient être. Cette pensée de portée philosophique ne devait probablement pas embarrasser le visage-pâle venu ici pour civiliser le peau-rouge , mais ceci est une autre histoire… La référence à l’œil ou à la vue se retrouve également dans le folklore suédois où la libellule se nomme blindsticka, autrement dit : "ramasseuse d’yeux ". La tradition de ce pays nordique raconte également que le diable s’est associé aux libellules pour qu’elles viennent sur Terre peser les âmes des hommes et, si par mésaventure, l’un d’entre eux constatait que plusieurs de ces dernières virevoltaient autour de sa tête, il devait s’attendre à ce que de grands malheurs s’abattent sur lui.

Album japonaisDes croyances plus anciennes font de la libellule un objet de culte. Au Japon, elle  symbolisait la victoire après la bataille. Une légende raconte que Jinmu-ténnô, descendant du Dieu Soleil et fondateur de l’Empire, fut mordu par un taon. Une libellule passant à proximité ne supporta pas de voir l’empereur importuné par l’insecte; elle fondit alors sur le taon et le dévora. En guise de reconnaissance, l’empereur nomma le Japon akitsu-shima (îles de la libellule). Une autre légende dit aussi que cet empereur, après avoir gravi un promontoire, découvrit une partie de l’île Hondo (actuelle Honshu) et qu’il crut y reconnaitre la forme de deux akitsu (libellules) accouplées.

Au Japon la libellule est un symbole associé à d’heureux présages, on ne s’étonnera donc pas de la retrouver présente sur de nombreuses estampes. De nos jours le Japon est un des pays qui a le plus étudié les libellules à qui il fut le premier à consacrer une réserve naturelle ainsi qu’une revue scientifique entièrement dédiée.

Dans d’autres pays asiatiques, le sort de la libellule est pourtant moins enviable. Elle est considérée comme un mets de choix. Les enfants de l’île de Lombok, en Indonésie, capturent ces insectes à l’aide de bâtons enduits de glue avant de les consommer frits à la poêle. À Bali, on les cuisine avec de l’huile de noix de coco et des petits légumes. En Thaïlande ou au Laos, ce sont les larves de libellules épicées que l’on sert grillées.

Libellule ZuniPour finir ce préambule sur une note plus positive, je reprendrai une légende du peuple Zuni qui vivait sur les territoires occupés de nos jours par le Nouveau Mexique et l’Arizona et qui pensait que les libellules « emportaient leurs prières jusqu’à l’esprit du Monde ».

Une année où la récolte de maïs promettait d’être désastreuse et de vouer la population à la famine, des villageois abandonnèrent leur jeune fils et sa sœur. Pour consoler la petite fille qui pleurait à chaudes larmes, son frère lui confectionna une libellule avec la fine enveloppe d’un épi de maïs. Cette libellule prit vie pour apaiser les sanglots de la petite fille et elle transforma les chétifs épis de maïs en une récolte abondante, afin que les parents puissent de nouveau accueillir leurs enfants sans crainte de ne pouvoir les nourrir.

Origines:

Des fouilles archéologiques (dont le matériel est répertorié dans « Pueblo Indian Pottery » publié en 1936 par Kenneth M. Chapman du laboratoire d’anthropologie de Santa-Fé), ont permis de mettre à jour un vase destiné à des rituels sacrés pour produire la pluie sur lequel figurait une grenouille et une libellule, crédibilisant s’il le fallait cette légende des enfants et de la libellule. De nos jours, l’artisanat des descendants de ce peuple exploite de manière emblématique la libellule que l’on retrouve sur une partie des bijoux faits d’argent et de turquoise, destinés aux touristes qui visitent leur réserve. L’étymologie de libellule vient du latin libellula, lui-même dérivé de libella qui signifie " niveau" (comme le niveau du maçon), probablement en référence au vol plané parfaitement horizontal qu'adopte souvent la libellule.

La libellule est un arthropode (invertébré dont le corps est formé de segments articulés) qui appartient à l’ordre des odonates, caractérisé par leurs corps allongés, leurs quatre ailes membraneuses et leurs yeux composés, généralement proéminents.

Fossile de libellule Probablement apparus durant l’ère carbonifère il y a environ 340 millions d’années, les ancêtres des odonates furent parmi les premiers insectes à être capable de voler. Les fossiles les plus anciens datent du Permien moyen et sont datés à 260 millions d’années. Leur taille parfois gigantesque au regard de nos libellules actuelles, pouvait atteindre 70 centimètres de longueur pour une envergure avoisinant un mètre. Elle en faisait de véritables prédateurs volants, comparables aux vertébrés actuels qui occupent cette place (oiseaux et chauves-souris). Des meganeura monyi fossiles ont été retrouvés dans une mine de charbon de l’Allier vers 1880 ou plus récemment dans le Derbyshire au centre de l’Angleterre (voir illustration ci-contre).

Alors que les dinosaures disparaissent massivement à la fin du crétacé, les libellules poursuivirent leur évolution pour arriver au stade où on les connait aujourd'hui. Si leur taille s’est fortement réduite, leur morphologie en revanche est demeurée sensiblement identique.

Habitat et morphologie:

Apparues avant la dérive des continents, elles sont parvenues à occuper la plupart des terres émergées du globe, à la seule exception des zones polaires. Leur habitat se situe à proximité de cours d’eau et de lacs aux eaux limpides, mais leur répartition est loin d’être homogène. C’est dans les zones tropicales que l’on a répertorié le plus d’espèces, bien que dans les zones tempérées, on ne compte pas moins de 433 espèces rien que sur le continent nord-américain, pour 135 environ en Europe.

Au total, près de 6000 espèces nous sont connues à ce jour. Cette libellule photographiée sur les rives du barrage de Caramany vers l’ancienne route d’Ansignan, partiellement immergée, est un spécimen femelle de cordulegaster boltoni ou cordulegastre annelé. Il se caractérise par sa taille qui en fait une des libellules les plus grandes vivant en Europe, pouvant atteindre 70 à 100 mm. On la reconnait également à ses yeux de couleur verte qui se touchent en un point unique.

Cordulegaster

La morphologie de la libellule en fait un redoutable prédateur carnivore. Sa tête articulée, d’une mobilité exceptionnelle, est dotée de grands yeux comportant de 10 000 à 30 000 facettes élémentaires, disposées en nid d’abeilles, qui leur donnent une capacité à voir dans toutes les directions. Sa mâchoire puissante lui permet de saisir et de broyer ses proies essentiellement constituées par d’autres insectes aquatiques mais également toutes espèces de mouches, araignées et même de jeunes têtards. Le thorax renferme les puissants muscles qui actionnent leurs deux paires d’ailes, ainsi que les pattes qui sont au nombre de six et qui leur permettent de se percher ou de capturer leurs proies. Les chercheurs attribuent à la partie inférieure de ces pattes correspondant à nos tibias, un rôle dans la communication et les échanges avec leurs congénères. L’abdomen allongé est composé d’une dizaine de segments qui renferment les organes copulateurs et génitaux.


ailes mâles et femellesLes ailes des libellules dont les nervures sont utilisées pour différentier les espèces permettent également d’identifier le sexe comme je le montre ici avec un petit montage que j’ai réalisé à partir de deux images d’un mâle et d’une femelle de cordolegaster. La partie basse de la seconde paire d’ailes de la femelle suit une forme arrondie, alors que chez le mâle on distingue très nettement une cassure qui se traduit par un arrondi réduit à l’extrémité qui s’incurve ensuite, avant de se prolonger vers l’attache thoracique.

PterostygmasLes ailes sont dotées de ptérostygmas, visibles sur le détail de la photographie ci-contre à gauche, et qui se présentent sous la forme de cellules colorées ou sombres situées vers l’extrémité des ailes. Des chercheurs ont émis l’hypothèse que ces ptérostygmas pourraient avoir un rôle de stabilisateur durant le vol, dont on peut retenir qu’il permet à la libellule d’atteindre des vitesses de 60 km/heure avec une fréquence de 20 à 30 battements d'aile par seconde. Le vol de la libellule lui permet en outre de pouvoir se déplacer en marche arrière. Elle est avec l’oiseau mouche, le seul animal capable de voler ainsi. On notera enfin, comme autre singularité, qu'elle est capable de voler et de copuler simultanément.

Reproduction:

Pour se reproduire, la libellule mâle s’accouple avec une femelle dans une position nommée communément la roue ; la femelle va chercher avec l’extrémité de son abdomen recourbé le sperme du mâle, contenu dans son second segment abdominal. La femelle pond ensuite ses œufs dans l’eau, sur des plantes aquatiques, sur des brindilles de bois ou dans la vase qui borde les rives. Les œufs éclos libèrent des prolarves qui sont restées initialement immobiles dans leurs œufs durant quelques semaines. Une première mue va avoir lieu quelques minutes après cette éclosion, pour donner une première véritable larve qui va se nourrir et se développer sous l’eau, grâce à un appareil buccal élaboré doté d’un labium qui lui permet de saisir ses proies. Le développement de cette larve peut prendre jusqu’à quatre ans et passer par une succession de plus d’une dizaine d’états larvaires, selon les espèces, avant la formation d’une nymphe qui sort de l’eau pour se fixer à une tige ou un rameau végétal.

De cette nymphe sortira un corps de libellule encore mou qui devra attendre une ou deux heures pour que ses ailes et ses segments se durcissent. J’ai eu la chance de pouvoir photographier dans un jardin de Caramany les restes d'une nymphe de libellule sur une tige de coquelicot en bordure d’un bassin.

restes de nymphe

Actuellement la législation protège les odonates qui sont menacés indirectement par la destruction de leur biotope essentiellement due à l’homme. Différents facteurs contribuent à nuire à ces insectes, les remblais ou assèchements de zones humides, l’utilisation de produits phyto-sanitaires, insecticides et engrais, les extractions massives de tourbe pour les besoins du jardinage de loisir ou certaines industries de transformation, les ressacs provoqués par les passages de bateaux ou engins motorisés de loisir navigant à vive allure, etc

Une liste des espèces d’odonates protégées en France ainsi que les textes législatifs qui les protègent sont disponibles sur le site de la Société Française d’Odonatologie, lien : http://www.libellules.org

Photos: Philippe Garcelon

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