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La légende des canons: une part de vérité

Il n'y a pas si longtemps que ça, conformément au programme de littérature, j'apprenais à mes élèves la différence entre un conte qui repose sur des éléments et des faits purement imaginaires et une légende qui à partir de quelques bribes de réalité brode dans l'imaginaire.

De manière plus précise, le Littré définit la légende comme un récit populaire reposant sur un fond historique plus ou moins altéré ou du moins prétendu historique. 

Le Larousse donne sensiblement la même définition: récit merveilleux où les faits historiques sont transformés par l'imagination populaire ou l'invention poétique.

Une récente découverte documentaire me permet aujourd'hui de dire que les Carmagnols avaient bien raison de parler de la légende des canons qui fut un des premiers articles de ce site (rubrique Histoire). En effet, cette légende ne reposait pas uniquement sur l'existence bien réelle des deux poutres du rempart est, mais sur un fait historique datant vraiment des guerres de la Révolution.

C'est un capitaine du génie, Joseph-Napoléon Fervel, par ailleurs Inspecteur des études à l'Ecole Polytechnique qui nous en apporte la confirmation.

Les combats de l'été 1793:

Général Ricardos et son CanonEn 1793, une colonne de l'armée espagnole du général Ricardos s'est vraiment approchée de Caramany, non pas pour se ravitailler mais pour poursuivre des soldats républicains chargés de défendre la rive gauche de la Têt. Cela se passait au mois d'août; les troupes espagnoles avaient déjà envahi le Vallespir, le Conflent, une partie des Aspres. Leur objectif était de passer face à Millas sur l'autre rive pour arriver sur Perpignan par Saint Estève et Peyrestortes et ainsi attaquer la ville de plusieurs côtés.

«  Evidemment, Ricardos allait profiter du succès de Corbère pour déboucher des environs de Millas où il continuait à se concentrer, et se jeter sur le camp de Cornelia 1 dont la chute pouvait, seule , lui assurer la possession de la rive qu'il convoitait. La prudence la plus vulgaire prescrivait alors à la défense de replier dans le camp menacé les 4000 hommes de la divison Mondredon, dont 1500 étaient dispersés de Force-Réale 1 à Montalba. (NDLA:ce qui ne fut pas fait et Joseph-Napoléon Fervel ne manque pas de critiquer les décisions du commandant en chef des troupes républicaines, le lieutenant-général marquis Puget de Barbantane.)

Ricardos ne pouvait plus hésiter. Aussi employa-t-il la journée du 27 à rassembler 5000 hommes au col Ternère 2 et 7500 autour de Millas: les 5000, division Crespo pour aborder préalablement la rive gauche en face du col et balayer Montalba, Bélestat, Caladroit 1 et tourner Força-Réale; les 7500 autres, division Las Amarillas, pour assaillir de front le camp de Cornélia. L'attaque fut fixée au lendemain.

Le 28 donc, Crespo passa la Têt à la hauteur de Montalba et dispersa nos postes qu'il poursuivit jusqu'à Caramany; mais comme il allait se rabattre sur Força-Réale, survint un violent orage qui emporta les ponts de la Têt et rendit ce torrent momentanément infranchissable. Il fallut encore attendre le jour suivant. »

Le 29, en effet, le fort de Cornélia sera pris, les troupes républicaines reculeront en bon ordre vers Perpignan mais en abandonnant l'artillerie et les munitions sur place.

Histoire ou légende?

Caramany n'a donc pas été balayé par les Espagnols. Il semble que ce soit dû surtout à sa situation géographique trop loin des lignes de bataille et donc sans intérêt stratégique majeur et peut-être un peu à cause de l'orage du 28 août qui a fait redescendre les ennemis vers la plaine. L'invention poétique, pour reprendre les termes du Larousse, nous dit que c'est grâce aux deux poutres noires du château. La réalité est donc moins glorieuse que la légende qui permet de mettre en avant l'esprit de résistance des Carmagnols et la couardise de l'armée espagnole.

Mais après tout, J.N Fernel n'était pas un témoin oculaire et les sources qu'il a consultées ont peut-être fait l'impasse sur nos fameux canons; alors pourquoi ne pas continuer à y croire?

 

Notes:

  1. J'ai conservé l'orthographe des noms propres tels qu'ils sont écrits dans le livre.
  2. Le col Ternère est la limite géographique entre le Roussillon et le Conflent; il se situe entre Ille et Rodès.

 

Sources:

  • Campagnes de la révolution française dans les Pyrénées Orientales 1793 – 1794 – 1795 par Joseph-Napoléon Fervel . Tome 1er publié avec l'autorisation du Ministre de la Guerre, imprimé à Paris chez Pillet fils aîné en 1851.