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Antoine Molins, commerçant en 1900

 

 1900: Un siècle se termine, un autre va commencer. Les dernières années du XIX ème siècle qui voient se succéder de nombreuses découvertes technologiques ont apporté aux sociétés européennes d'énormes espoirs de progrès.1 L'invention de la machine à vapeur, par exemple, a peu à peu modifié la façon de travailler dans l'artisanat et l'agriculture, ouvert la porte aux grandes industries et provoqué une véritable révolution dans les transports. Le chemin de fer a commencé à tisser sa toile dans tout le pays. En 1858, il est arrivé à Perpignan, puis à Ille en 1869.

La nouvelle routeCaramany n'est pas resté à l'écart de ces grandes mutations: dans les années 1880, les collines se sont couvertes de vignes, traduisant ainsi le passage progressif du village de la polyculture à la monoculture. La route départementale actuelle, D9, a éte ouverte en 1893, notre fameux Pont rose a été construit en 1894; tous ces travaux allaient faciliter les échanges avec la vallée de l'Agly au Nord et la vallée de la Têt au sud. Dans le village, le bâtiment mairie-école s'élève au sud sur un terrain qui va devenir la nouvelle place, le télégraphe est déjà là, un facteur passe mais on attend avec impatience le bureau des Postes. C'est aussi en 1900 que la municipalité établit le réseau des fontaines publiques; désormais tous les quartiers seront alimentés.

Au delà de tous ces bouleversements, comment vivaient les Carmagnols, à cette époque qui paraît si lointaine, plus d'un siècle après et qui pourtant reste bien vivace dans la mémoire de nos compatriotes les plus âgés, puisque c'est celle de leurs parents?

Un document, à la fois banal et exceptionnel de par ses précisions, va nous permettre de connaître un peu mieux leur vie quotidienne. Il a été mis à ma disposition par la descendante de la famille d'Antoine Molins, commerçant local, et se présente sous la forme d'un registre où sont consignés les sommes dues au titre de l'épicerie ou du commerce de draps, j' y reviendrai.

C'est une mine de renseignements sur le coût de la vie à ce moment là, sur les produits de première nécessité mais aussi sur les travaux d'agriculture réalisés au village, sur les différents corps de métiers présents. Enfin il donne aussi quelque indications sur la vie de la famille Molins.

Malgré ce grand nombre de données, nous n'aurons qu'un aperçu de ce que pouvait être la vie au village, d'abord parce que je n'ai parcouru qu'un seul registre, choisi parce que c'était le plus gros et surtout parce qu'il concernait le changement de siècle, ensuite parce qu'il y avait d'autres commerces à Caramany, les deux épiceries Asther et l'épicerie Climens et qu'il est raisonnable de penser que toutes les familles n'étaient pas clientes partout.

Afin d'ordonner tous ces renseignements, je les présenterai en plusieurs articles:

  • 1 Le livre de comptes d'Antoine Molins

  • 2 Le coût de la vie, les achats des Carmagnols

  • 3 Quelques éléments de vie quotidienne de la famille Molins

  • 4 Comment vivait-on à Caramany en 1900?

  • 5 Les métiers présents dans le village 

1: Le livre de comptes d'Antoine Molins:

 Il se compose exactement de 400 pages reliées au format 40x15 cm, protégées par une épaisse couverture cartonnée. Sur la page de garde, le tampon du magasin a été essayé à deux reprises. On devine

MAGASINS EN TOUS GENRES

A. MOLINS

CARAMANY (Pyr. Or)

Le livre de comptesAvant même de feuilleter ce document, une remarque s'impose. Dans la famille Molins, comme certainement partout à cette époque2, on ne gaspille pas le papier. Les 400 pages sont remplies de haut en bas. Lorsqu'un client n'est venu acheter à crédit que quelquefois, son fond de page est utilisé pour compléter les folios des autres.

Chaque page comporte en haut un nom et est divisée en trois colonnes: date, produit acheté, doit. A la fin de la page est mentionné le report au folio suivant.

Il est fort probale que les courses étaient l'affaire des ménagères plutôt que de leurs maris et surprise, les noms mentionnés sont essentiellement des noms d'hommes, 86 contre 16 pour les femmes dont certaines sont signalées comme veuves. La notion de chef de famille prend ici tout son sens.

Ce livre s'étale sur la période du 29 mai 1899 au 31 décembre 1911, il va même pour certaines pages où il restait un peu de place jusqu'au 13 novembre 1914. Ce qui saute aux yeux, c'est la rigueur avec laquelle les comptes sont tenus: la moindre dette est inscrite comme ce reste de savon le 7 novembre 1899 ou ce reste de haricots le 6 mars 1900 pour 0,05 centimes.

En 400 pages, je n'ai trouvé la trace que de deux rabais, l'un de 10 centimes et l'autre de 20 centimes sur un achat de 29 francs. Si les créances sont toujours honorées, c'et souvent avec beaucoup de retard, ce qui montre la solidité de l'entreprise mais aussi le rôle social qu'elle joue en faisant autant d'avances sur paiement. Les pertes sont rares, preuve de l'honnêteté des Carmagnols, la mention « perdu » n'est présente qu'une fois.

Les habitudes des consommateurs, comme on dirait aujourd'hui, apparaissent au fil des pages; certaines familles n'ont utilisé en 12 ans qu'un morceau de page ou une page entière, ce sont peut- être des clients qui préfèrent payer comptant ou qui fréquentent peu le magasin . D'autres utilisent régulièrement le système de crédit, d'autres s'en servent tout le temps. Le plus grand nombre de pages remplies pour la même famille est de 28.

Achat ne veut pas dire obligatoirement échange d'argent: chaque fois qu'Antoine Molins fait appel à des artisans du village, maçons, menuisiers, etc... le montant des travaux réalisés vient en déduction des sommes dues dans son commerce; d'autre part, il est aussi propriétaire,comme on disait à l'époque et, sûrement très pris par son commerce, il a besoin d'ouvriers agricoles pour exploiter ses vignes, ses jardins ou ses champs d'oliviers. Là aussi, les journées de travail qu'il réserve à la main d'oeuvre locale sont retenues pour solder les dettes de chaque famille concernée.

Deux exemples: le 17 septembre 1907, Paul Roger obtient un reçu pour deux journées d'homme soit 5 francs. En août 1901, Edmond Delonca, qui a été embauché pour 21 journées de maçon à 4 francs, du 22 avril au 4 mai, peut retirer 84 francs de sa dette.

De toute évidence, la famille Molins était une des familles dont dépendait la vie économique du village. Vivant de manière bourgeoise dans la plus grande et plus belle maison de Caramany, elle donnait du travail à de nombreuses personnes qui, par nécessité, faisaient ensuite fonctionner son commerce. 

Notes:

  1. Je ne peux m'empêcher de citer le discours de l'instituteur Joseph Pagnol, lors de la rentrée 1900:  « Nous sommes entrés dans un siècle fabuleux, où les miracles, ceux nés de la science, seront quotidiens et apporteront de la joie aux plus pauvres, aux plus humbles. Les maisons auront le gaz, la lumière électrique, souvent même le téléphone. Notre vingtième siècle sera un très grand siècle, le progrès est en marche. Bientôt la machine exécutera les travaux les plus pénibles, elle permettra sans doute de réduire à 10 heures la journée de travail et l'ouvrier aura même un jour de repos par semaine. Et guidé et sauvé par l'Instruction, chacun aura sa place dans un monde qui respectera tous les hommes.» Extrait du film La gloire de mon père d'après Marcel Pagnol
  2. C'est aussi le cas dans les registres municipaux.

 sources:

  • livre de comptes d'Antoine Molins mis gracieusement à notre disposition par madame Michèle Barbet à qui nous adressons tous nos remerciements.

 Photos: 1: La nouvelle route ou plutôt le nouveau chemin d'intérêt commun n° 21 (archives personnelles)

             2: le livre de comptes d'Antoine Molins