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Jean Bascou: un homme de devoir

  De part et d'autre de l'Agly.

Jean BascouL'histoire de Jean Bascou commence à quelques kilomètres de Caramany dans le village de Rasiguères. C'est là que le 14 juillet 1879, Marie Glory, épouse Bascou donne naissance à son deuxième garçon. Celui-ci portera les prénoms de Jean, comme son père, François et Mathieu.

Jean passera son enfance entouré de ses parents, de son aîné Joseph, né en 1871 et de son cadet Paul, né en 1884. Il fréquentera l'école communale qui lui donnera si l'on en juge par son courrier, une excellente maîtrise de la langue française, dans les tournures grammaticales comme dans le vocabulaire.

La façon dont il parle de l’école à ses propres enfants montre que ses parents lui ont transmis de nombreuses valeurs : l' importance de l’instruction, le goût de l'effort, de l'application et le respect des maîtres. Mais ils lui ont aussi appris l’amour de la terre, du travail de la vigne et lui ont donné un solide éducation religieuse qu'il compte aussi transmettre à ses enfants.

Le certificat d’études en poche, preuve de la réussite de son parcours scolaire, il participe comme la plupart des jeunes gens de l’époque, aux travaux agricoles dans les propriétés familiales.

Appartenant à la classe 1899, Jean Bascou est appelé comme soldat de deuxième classe au 7ème bataillon de chasseurs à pied qu'il rejoint à Nice le 16 novembre 1900. Ses qualités et son instruction le feront certainement remarquer de ses supérieurs puisqu'il passe caporal dès le 31 mai 1901, puis sergent le 21 septembre 1902. Et c'est avec ce grade de sous officier qu'il est versé dans la disponibilité, le 19 septembre 1903, et qu'il rejoint, avec un certificat de bonne conduite, son village natal.

Dégagé des obligations militaires, il pense alors à fonder une famille et très vite il rencontre une jeune fille de Caramany Françoise Solère à qui, « dès le premier jour, il offre son cœur, tout entier sans réserve. » Dès l'été suivant, les familles sont au courant puisque les fiancés profitent des fêtes locales, Latour le 15 août et Bélesta le 24 pour se lancer des invitations.

Les cérémonies de mariage ont lieu à Caramany, le 16 novembre 1904. Les époux sont unis au nom de la loi par le maire Nicolas Dabat, avant de se rendre à l'église Saint-Étienne où l'abbé Vilanove, récemment nommé à la cure du village, procède au mariage religieux.

Jean Bascou fait alors le choix de vivre à Caramany au domicile de la famille Solère où Françoise habite avec son père Étienne et sa grand-mère, car sa maman, Angélique Calvet, est décédée en 1886 alors qu'elle n'avait que trois ans. Jean aussi a perdu sa mère très tôt et le fait qu'ils soient tous les deux orphelins de mère les a, de toute évidence, rapprochés.

Rassuré car son propre père ne restera pas seul à Rasiguères, puisque au moins son frère Paul prévoit de travailler au village, Jean Bascou devient donc officiellement carmagnol le 5 décembre 1904 et il prend en main les propriétés des Solère sur Caramany et Bélesta mais aussi les vignes qu'il garde sur Rasiguères.

La famille s'agrandit avec l'arrivée d'Henri, le 21 juillet 1906, puis de de Paule, le 5 mars 1910, deux enfants qui vont faire le bonheur de Jean, il le répète pratiquement dans toute sa correspondance, et de Françoise.

Mais cette famille laborieuse qui ne demandait qu'à vivre tranquillement des fruits de son travail, va être emportée bien malgré elle, dans la tourmente de la première guerre mondiale.

La séparation

ordre de mobilisationEn vertu de l'ordre de mobilisation du 1er août 1914, terrible expression qui va être tamponnée sur des milliers de livrets matricules des jeunes Français, Jean Bascou est rappelé sous les drapeaux.

Le 4, il rejoint à Perpignan le 126ème régiment d'infanterie territoriale. Et sa correspondance de guerre commence dès le lendemain.

Il indique qu'il a été affecté à la 11ème compagnie avec Pierre Vignaud « notre voisin » et Pierre Pratx et qu' il a même déjeuné avec ses deux frères Paul et Joseph. C'est la première des 250 lettres qui seront gardées pieusement à Caramany par son épouse. L'histoire dans l'Histoire, de cette correspondance mérite que l'on s'y arrête un moment.

La mémoire, l'oubli et la découverte :

Le 7 avril 1915, Jean Bascou écrivait : « Je voudrais, ma chère Françoise t'exprimer un désir, c'est de conserver toutes mes lettres, ainsi plus tard nos enfants pourront se rendre compte aussi comment je les ai aimés pendant les longues journées que j'ai vécues loin de toi et d'eux. Ils auront là un exemple vivant de l'attachement qu'un père doit avoir pour ses fils. » Et Françoise a bien sûr accédé à cette demande, en gardant précieusement les lettres de son mari, mais aussi toute la correspondance qui le concernait, c'est à dire ses propres lettres qu'il renvoyait petit à petit en faisant état de la difficulté de les transporter d'un cantonnement à l'autre ou du risque de les perdre, et également les courriers de la famille, Joseph, Paul, les cousins Glory ou Solère. C'est un véritable trésor sentimental pour la famille, mais aussi historique pour les chercheurs que Françoise a conservé certainement jusqu'à sa disparition en 1947. Qu'en est-il advenu ensuite ? Henri Bascou, fils aîné, a hérité et vécu dans la maison de ses parents, il n'a jamais fait état de la correspondance de son père auprès de ses enfants et petits-enfants. En 1999, un brocanteur chargé de vider la maison de son contenu découvre dans un baril de poudre stocké dans le grenier, la correspondance de guerre de Jean Bascou. Il la met en vente sur Internet où un chercheur Yann Thomas la repère et en fait l'acquisition. Il en fera le thème d'un mémoire. Et c'est ainsi que les descendants de Jean retrouveront la mémoire de leur aïeul.

Un passage par la Tunisie

Jean Bascou ne reste pas longtemps à Perpignan. Les régiments territoriaux composés des soldats les plus âgés étaient destinés à décharger les régiments d'active de leurs missions afin de les rendre disponibles sur le front. Le 126ème RIT est donc envoyé en Tunisie afin, lit-on dans le Journal de Marche du régiment, « d'assurer l'ordre et la sécurité dans ses territoires coloniaux par la garde des tranchées, des forts, des feux de la côte, des magasins, des réservoirs d'eau ». Rien apparemment de très dangereux.

Le 18 août, le régiment fait donc mouvement vers Port-Vendres, lieu d'embarquement vers Bizerte. Jean Bascou est en pays de connaissance. Il cite régulièrement Pierre Vignaud et Pierre Pratx, mais nous savons aussi que deux autres Carmagnols au moins, Benjamin Delonca et François Dimon, font partie du même contingent.

Benjamin DeloncaIls sont loin de se douter qu'ils vont tomber au combat le même jour, le 21 septembre 1915. Benjamin Delonca et François Dimon pour défendre un poste perdu du côté de Tataouine contre les rebelles libyens et Jean Bascou lors du premier jour d'une grande offensive dans la Marne.

Car Jean Bascou ne restera pas longtemps en Tunisie. Le 30 septembre, il explique à Françoise que le régiment doit désigner une centaine d'hommes pour revenir en France. Sa compagnie a choisi les plus jeunes, parmi lesquels un adjudant, quatre sergents, dont il fait partie, et huit caporaux.

Il se doute de l'inquiétude que cette nouvelle va générer au sein de la famille et s'efforce de la rassurer : « … donc ne t'inquiète pas ma chère Françoise, que ton père également soit calme, car il est fort probable que nous irons dans un fort ou dans une ville fortifiée. »

Une mauvaise fièvre à combattre :

Son retour en France, il débarque à Marseille le 4 octobre, va être marqué par une longue hospitalisation à Albi où il a été rattaché au 15ème régiment d'infanterie. Consciente de son état de faiblesse dû à une très grande fièvre, Françoise, accompagnée de sa belle sœur Léa Estève, fera le déplacement dans le chef-lieu du Tarn aux alentours du 21 octobre. Ce n'est que le 3 novembre que Jean écrit : « Grâce à Dieu, je commence à aller mieux. Ma fièvre est tombée, j'ai une température normale. Aujourd'hui le major m'a autorisé à me lever... »

Le 26 novembre, il quitte enfin l'hôpital, rejoint le dépôt du régiment et obtient rapidement une permission. Deux petits jours, les 10 et 11 décembre pour retrouver les siens et son village. On imagine sa joie d'autant plus que son père Jean et son frère Joseph sont venus de Rasiguères se joindre aux retrouvailles.

Jean Bascou restera à Albi jusqu'en février 1915. Il obtiendra deux autres permissions du 8 au 10 janvier et du 6 au 8 février qui lui permettront de revoir sa famille adorée. Pendant la vie un peu routinière du dépôt, il poursuit sa correspondance donnant des conseils aux enfants, demandant des nouvelles du village et surtout des mobilisés comme lui, s'inquiétant des travaux de la vigne et du surcroît de travail assuré par son beau père. En février, le bruit court que le ministre (de la guerre) a ordonné de donner quinze jours de permission aux militaires qui sont propriétaires ou ouvriers agricoles. Jean demande à sa femme de faire délivrer par la mairie un certificat comme étant propriétaire vigneron, ayant des labours à faire. Au retour de sa permission du 8, il remet ce certificat à son lieutenant et se voit déjà de retour à Caramany. Hélas, il ignore encore que l’état-major a déjà lancé les préparatifs d'une grande offensive dans laquelle son destin va se jouer. Le lendemain, 13 février, il écrit :

« Je ne croyais pas hier t'écrire de sitôt, contrairement à ce que je pensais, il me sera impossible d'avoir la permission pour les travaux agricoles. Une note arrivée hier prescrit au Commandant du dépôt de les suspendre jusqu'à nouvel ordre. Jusqu'à présent, on n'a pas parlé de nous faire partir, mais cela peut arriver d'un moment à l'autre. Ce sera donc pour plus tard, espérons qu'il en soit ainsi. Et moi qui goûtais déjà la joie des journées que j'allais passer auprès de toi, ma chère Françoise, de mes enfants chéris et de ton père pour qui j'ai la plus sincère affection. Il ne pourra pas compter sur moi pour les labours, et je le regrette bien, et moi qui croyais utile de lui indiquer hier encore, certains détails afin que tout fut à point quand j'arriverais. »

(A suivre)

Photos:

1 et miniature: Jean Bascou en uniforme de sergent, archives familiales Bascou

2: ordre de mobilisation générale , wikipédia

3: Plaque déposée au cimetière de Caramany sur le caveau de la famille Delonca. Philippe Garcelon