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Caramany dans la presse regionale et nationale -3 (suite)
- Détails
- Publié le: 21/09/2022
- Auteur: Bernard Caillens
Caramany, ni plus ni moins bonapartiste que les autres ?
Que peut-on déduire de tout cela ? Assurément qu'une sensibilité bonapartiste existait dans le village. Mais d'autres existent aussi, toutes celles que les événements politiques qui se succèdent, révolutions grande et petites, coups d'Etat, retour des émigrés, élections, ont suscité. Avec comme conséquence, comme dans toutes les localités, des antagonismes plus ou moins violents, à commencer chez les notables.
Le curé Jean Damien Montferrand, avec deux frères émigrés au début de la Révolution, en conflit permanent avec les maires de la République ce qui lui a valu de goûter à l'hospitalité des geôles de Perpignan, est, nous l'avons vu, un royaliste convaincu qui met beaucoup d'espoir dans le retour des Bourbons en 1814.
Au contraire, la famille Chauvet, souvent évoquée dans cette période difficile de l'histoire de notre village, a pris, sur trois générations, une part active à la Révolution, fournissant un Conseiller général, deux maires et un maire de canton. De toute évidence, elle est plus républicaine que royaliste mais est-elle devenue bonapartiste ? Certes, Louis Chauvet, pour devenir maire à la suite de Cyr Vaysse a prêté serment à l'Empereur le 18 avril 1813, mais il est resté en poste en 1814, à l'arrivée de Louis XVIII, auquel il a aussi, après un rappel à l'ordre1, prêté serment, puis a assuré la période du retour de l'Empereur, les fameux Cent jours, et ensuite le deuxième retour du Roi. C'était loin d'être facile pour les maires et en 1815, le traiter de bonapartiste permettait d'avoir un argument imparable pour le destituer, ce qui mettait un point final au conflit local des deux clans, mais permettait aussi de mettre à l'écart quelqu'un qui n'avait pas manifesté un réel soutien au Roi. D'ailleurs, les années suivantes n'ont fait qu'augmenter cette défiance des autorités vis à vis de cette famille. En 1823, un beau frère de Louis Chauvet dont la maison sera fouillé, accusé de comploter contre le Roi est arrêté par la gendarmerie royale sur le chemin de Caramany. Il sera jugé et condamné à mort à Toulouse. Le Moniteur universel du 22 avril 1823 mais aussi le Journal du commerce du 17 avril rendront compte de cette arrestation dans leurs colonnes, et au mois de décembre, le compte rendu du procès sera publié dans le Journal de Toulouse et le Constitutionnel.
Royaliste, républicain ou bonapartiste, comment devait se positionner Dominique Fourcade ? Nommé maire par le Préfet du Roi, suite à la destitution de Louis Chauvet, il est suspendu de ses fonctions de décembre 1821 à juin 1823 par ce même Préfet qui semble avoir eu du mal à lui trouver un remplaçant.
Enfin, l'instituteur Auguste Azaïs nommé en 1834 sous le règne de Louis Philippe 1er, proche du curé François Bria avec qui il a participé activement à la construction du clocher, a eu des problèmes avec le retour de la République. C'est un journal local, l’Étoile du Roussillon2 du 20 avril 1850 qui, dans sa rubrique "Actes officiels" nous apprend que « par arrêté préfectoral du 10 avril, M. Azaïs, instituteur communal à Caramany a été suspendu de ses fonctions, pendant six mois avec privation de traitement et d'indemnité de logement », ce qui est une sanction grave. Il ne devait donc pas porter dans son cœur le Prince-Président puis empereur Napoléon III.
Bref, toutes les sensibilités politiques étaient représentées à Caramany et il est quasi certain que la majorité des Carmagnols vivaient les événements qui secouaient le pays, plus avec détachement qu'avec passion, à l'image du tailleur d'habits Jean-Pierre Barrière, dévoué pour la paroisse comme pour la commune, membre du conseil municipal de 1793 à 1827 et qui a prêté serment à la Constitution, puis à l'Empereur, puis au Roi, sans problème, en restant au service de ses concitoyens.3
Mais alors, ces hommages à l'Empire ne seraient-ils pas intéressés ?
C'est en tout cas l'hypothèse que les nombreuses lectures des registres de ce siècle m'amènent à formuler. De 1831 à 1877, la préoccupation principale des Carmagnols a été l'affaire des canaux d'arrosage. Elle a touché toutes les familles, certaines sur deux générations. Elle a eu des conséquences économiques à la fois dans chaque foyer et sur les budgets annuels de la commune qui se retrouvait sans ressource. Et si la lutte a duré plus de cinquante ans, c'est parce que de la possibilité d'arroser ou non les champs dans la vallée dépendait la survie du village, qui avait plus de 500 bouches à nourrir.
L'affaire commence en 1831, au début du règne de Louis-Philippe 1er, lorsque à la demande de propriétaires riverains de l'Agly, essentiellement d'Estagel, Claira et Rivesaltes, la justice ordonne aux Carmagnols de détruire les canaux d'arrosage qu'ils exploitent en rive droite et rive gauche, pour l'un depuis 1815 et pour l'autre depuis 1817. Le refus des riverains de Caramany va entraîner un conflit de plus de 50 ans, avec des moments de tension sur place et des procès jusqu'en cassation.
En 1848, lorsque une petite révolution fait tomber le Roi des Français, la situation à Caramany est catastrophique. Un procès encore perdu ayant fixé une amende pour chaque jour de retard dans la destruction des canaux, la somme réclamée aux riverains en 1847 s'élève à 72 000 francs. Elle est impossible à payer car elle représente pour chacun d'eux des années de travail alors qu'ils se sont déjà saignés aux quatre veines pour payer les frais des procès antérieurs.
C'est humain, ils mettent alors leur espoir dans le changement de régime, et la deuxième République s'étant dotée d'un Président, ils lui adressent une longue pétition dans laquelle, ils reconnaissent (pour une fois) leurs torts mais sollicitent, comme toutes les autres communes riveraines, la simple autorisation d'utiliser les eaux de l'Agly, "comme ils le faisaient d'ailleurs du temps du Grand Homme", sous-entendu votre oncle Napoléon 1er. Cette pétition se termine de la façon suivante : « Les sociétaires de la commune de Caramany quoique réduits par la perte de ce long et dispendieux procès, à un état de misère tel qu'il serait difficile de vous le faire comprendre, se tiennent pour bien condamnés, ils adhèrent aux décisions des tribunaux, mais leur condamnation peut-elle aliéner le droit du propriétaire riverain? Personne jusqu'ici n'a pu le penser ni oser le dire; car St Paul de Fenouillet et bien d'autres communes situées sur la rivière de l'Agly qui ont eu le bon esprit, mieux que celle de Caramany, de ne pas plaider ont constamment joui et jouissent encore du bénéfice de la loi, sans s'inquiéter des menaces d'un arrêté reconnu irrégulier et des condamnations qui ont frappé la commune de Caramany malgré son autorisation de la Préfecture.
Les soussignés fondés sur le droit imprescriptible que la loi leur donne, ont l'honneur de vous supplier, Monsieur le Président, de les autoriser chacun en particulier à se servir de l'eau de la rivière de l'Agly, dans les limites prescrites par l'article 644 du code civil, pour l'irrigation de leurs propriétés riveraines ou tout au moins de faire un règlement d'eau que Caramany a vainement réclamé de ses adversaires, pour ne pas se voir réduit à mourir de faim par la non irrigation de leurs terres qui leur rapporteront beaucoup moins qu'elles ne produisaient avant d'être soumises au bienfait de l'arrosage; néanmoins l'état perçoit la contribution de ces propriétés comme si elles s'arrosaient.
Les soussignés ont accueilli avec enthousiasme la nouvelle de votre passage dans le département des Pyrénées Orientales; ils ont vu dans cet acte de bienveillante sollicitude de la part du Président de la République, une occasion favorable de faire entendre la voix de la justice, bien plus intéressante quand elle est unie à celle du malheur, au cœur généreux du neveu du Grand Homme qui n'a qu'à connaître les besoins du peuple français pour qu'il soit tout aussitôt disposé à les secourir s'il ne peut les éteindre.
Les nombreux bienfaits que vous semez sur votre passage ont encouragé les soussignés à élever vers vous leurs voix suppliantes, ils osent se promettre que vous n'aurez pas le courage de leur refuser ce que la loi leur accorde, et cet acte de justice de votre part, Monsieur le Président, n'en sera pas moins, à leurs yeux, un bienfait inappréciable dont ils ne perdront jamais le souvenir.
Ils sont avec le plus profond respect, Monsieur le Président, vos très humbles et très obéissants serviteurs. »
Effet ou pas, le 17 octobre 1850, le notaire de Latour de France, Maître Cussol réunit les arrosants4 d'Estagel et de Caramany pour mettre en place une transaction qui permettrait aux Carmagnols d'arroser à condition qu'il n'y ait pas de pénurie d'eau dans les communes de l'aval. Et qui participe à cette transaction en tant que « cultivateur agissant comme mandataire des 85 autres propriétaires », c'est Raymond Estève.
La commune d'Estagel se plaignant lors des étés 1851 et 1852 de pénurie d'eau et demandant à la justice d’activer l'interdiction d’arrosage pour les Carmagnols, Raymond Estève, devenu maire, prépare une deuxième pétition cette fois-ci adressée à Monseigneur le Prince, car tout le monde a compris que la proclamation de l'Empire n'est pas loin.
En cette année 1852, Raymond Estève se trouve donc à la tête de la commune et du syndicat des riverains avec lequel il a sollicité deux fois Louis-Napoléon Bonaparte. Comment ne pas penser que les adresses au Prince-Président sont faites pour que les pétitions sur le droit d’arrosage soient examinées avec un peu de bienveillance ?
Raymond Estève cède sa place après un long mandat de 6 ans. Depuis l'instauration de la municipalité, seul Cyr Vaysse, maire de 1802 à 1813, était resté aussi longtemps en place.
La guerre de l'eau n'est toujours pas terminée en 1858, pas plus que 12 ans après lorsque la guerre de 1870 contre la Prusse emporte l'Empereur et l'Empire. C'est sous la troisième République qu'elle prendra fin alors que Raymond Estève a de nouveau de l'influence au sein de la commune. Redevenu premier magistrat en 1874, il perd son poste en 1876, au bénéfice de l'âge et reste membre du Conseil municipal pour faire tomber, dès 1878, son successeur François Vaysse.. Et c'est justement au cours de cette période très particulière, en 1877, que les Carmagnols, après avoir obtenu la création d'un syndicat officiel pour l'utilisation des canaux d'arrosage, baissent les armes et décident, après avoir encore perdu à la Cour d'appel de Toulouse, de payer une amende bien inférieure à celle prévue trente ans avant..
Alors le village de Caramany est-il bonapartiste ou … opportuniste ?
Notes:
- Les municipalités devaient prêter serment à sa Majesté avant le 10 octobre ; Il semblerait que Louis Chauver ait oublié. Il s'en excuse auprès du Préfet et lui demande de fixer une autre date. Ce sera donc le 28 novembre 1814, dans la maison commune, que Louis Chauvet et son conseil prêteront serment.
- L’Étoile du Roussillon est un bihebdomadaire crée en septembre 1849, donc au début de la 2ème république et qui semble s’éteindre avec elle en décembre 1851. Ses sous-titres étaient Journal de droit national, Tout pour le peuple et par le peuple, Arriver au bien par le bien
- Voir les années en 7 dans la rubrique Histoire, page 2
- Cette orthographe était utilisée dans les actes à l'époque ; on trouvait aussi arrosans.
Sources écrites :
- registres d'état-civil, de 1800 à 1820, mairie de Caramany
- registres de délibérations – archives municipales
- tableau des Maires (mis à jour en 2019) - mairie de Caramany,
- archives départementales - Caramany
- archives diocésaines pour la liste des curés
- Bonnets rouges et blancs bonnets - Michel Brunet - 2009, Éditions Trabucaïre
- Le Roussillon, une société contre l’État - Michel Brunet - 1990, Éditions Trabucaïre
Sources numériques:
- site "retronews" Le site de presse de la Bibliothèque nationale de France
- http://archives.cd66.fr/mdr/index.php/rechercheTheme/requeteConstructor/1/4/A/0/0#
- https://www.geneanet.org/blog/post/2020/10/matricules-napoleoniens-850-000-soldats-indexes
- https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/article.php?laref=433&titre=les-registres-des-gardes-consulaire-imperiale-et-royale-et-des-regiments-d-infanterie-de-ligne-1802-1815-
- site wikipédia pour les informations sur les journaux et les événements politiques
- La 2 ème République vue de près et de loin, d'Elne – Peter Mc Phee, chercheur, président de l'université de Melbourne. Texte publié sur le site de Association 1851, pour la mémoire des résistants républicains
Photos:
1: Prestation de serment au Roi par la municipalité de Louis Chauvet -registre des délibérations - archivs communales
2: Une de "L'étoile du Roussillon" retronews
3: Pétition au président de la République archives communales
4: rapport sur les canaux d'arrosage 1869 - archives communales