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La cloche mariale
- Détails
- Publié le: 10/06/2025
- Auteur: Bernard Caillens
Notre clocher est bien connu dans le département. Sa forme sommitale totalement atypique le fait aussitôt repérer par les photographes amateurs et les touristes ; elle lui a d’ailleurs valu une inscription à l’inventaire des monuments historiques (IMH) en 1972.
Mais ce que beaucoup de ses admirateurs ignorent, c’est que les trois cloches soigneusement abritées dans les étages campanaires n’ont pas une histoire commune.
L’achat des deux plus grandes cloches
Faisons un retour dans le passé et très précisément en 1840. L’abbé François Bria, natif de Thuir, est curé de Caramany. Nommé dix ans plus tôt, il s’est attaché à sa paroisse et après avoir fait agrandir le cimetière, il souhaite doter son église d’un clocher. Son objectif est simple : faire en sorte que la religion rythme encore mieux la vie de ses paroissiens. Ainsi, l’appel à la messe sera amélioré, mais on pourra aussi, à sept heures du matin, à midi et à sept heures du soir, sonner l’Angélus qui rappellera à tout un chacun ses devoirs de prière. De plus, le projet de notre bon curé prévoit sous les cloches un petit local qui abritera le mécanisme d’une horloge. Ainsi en sonnant tous les quarts d’heure, elles seront un repère temporel pour tous ceux qui vaquent à leurs occupations dans le village, mais aussi à l’extérieur, dans leurs champs et leurs vignes. Les élus voient cela d’un bon œil puisqu’elle facilitera aussi le respect du règlement d’utilisation des canaux d’arrosage, source de beaucoup de discorde.
C’est cette volonté de faire entendre leur son cristallin sur une bonne partie du territoire qui explique certainement la hauteur du clocher et la taille des cloches. Mais en constatant, chaque fois que j’admire la réalisation de l’abbé Bria, qu’elle dépasse de quelques mètres les murs du château, je ne peux m’empêcher de penser qu’il a aussi voulu montrer que l’autorité divine était bien supérieure à l’ancien pouvoir seigneurial.
Monsieur le curé se montre certainement très persuasif avec ses paroissiens, tant et si bien que le conseil municipal présidé par Pierre Rolland, délibère sur « la nécessité et le vœu qu’expriment les habitants d’avoir une horloge ». La délibération est datée du 16 août 1842 et c’est peut-être à cause de la date, le budget annuel ayant été voté bien plus tôt, que le maire précise aussitôt que « le conseil est dans l’impossibilité d’inscrire la dépense sur le budget communal ».
Qu’à cela ne tienne, le projet sera représenté l’année suivante et le 10 avril 1843, les élus voteront une imposition extraordinaire de 1 800 francs « dont 500 francs pour l’achat d’une horloge, 800 francs pour l’achat d’une cloche et 500 francs pour les travaux à faire au local où la dite horloge sera placée ».
Il est prévu d’effectuer la commande de la cloche auprès de la famille Cribailler, dernière famille de fondeurs roussillonnais, dont l’atelier était situé près de la Porte Neuve à Perpignan.
Mais au cours de l’année, une nouvelle décision sera prise, puisque, dans les premiers jours du mois d’août 1844, la maison Cribailler livrera non pas une, mais deux cloches ce qui va avoir des conséquences sur le budget prévisionnel. Une délibération du 9 mars 1845 apporte une explication partielle à ce changement en indiquant que le prix de la cloche s’est élevé à 1300 francs, mais que les travaux prévus ayant été fournis par des dons des habitants en argent, en matériaux et en journées, il est possible d’affecter les 500 francs votés pour les financer à son réglement.
À la lecture du registre, on a vraiment l’impression que les faits ont été simplifiés dans le seul but d’obtenir du préfet l’autorisation de changer l’affectation des 500 francs, d’autres arrangements non précisés étant pris par ailleurs. Comment ne pas trouver bizarre que l’augmentation de la facture de la fonderie corresponde exactement au montant des travaux prévus au local de l’horloge, montant qui, comme par hasard, est exactement couvert par les dons des habitants ? Pourquoi ne pas évoquer la deuxième cloche ? Pourquoi ne pas faire état de la mise en place pour chaque cloche d’un parrainage (on en retrouve l’inscription gravée sur leur robe) qui a dû être source d’une contribution financière ? De toute évidence, on ne disait pas tout au préfet… mais c’était pour la bonne cause !
Catherine et Marie-Rose
Voici ce que l’on peut lire sur la plus grande des deux cloches :
« SIT NOMEN DOMINI BENEDICTUM SANCTA CATARINA ORA PRONOBIS ( que l’on peut traduire par Béni soit le nom du Seigneur, Sainte Catherine priez pour nous) Louis Valentin parrain, Catherine Marguerite marraine, Les dites cloches sont faites aux frais de la commune de Caramany, fait par Raymond Cribailler frères à Perpignan 1844 »
Sur la deuxième plus petite, pas de prière, mais les mentions Jean Hippolyte parrain Marie Rose marraine suivies de la même phrase que précédemment.
Nos deux cloches ont donc été baptisées Catherine et Marie Rose et leur livraison a été faite dans un délai de un an. Une histoire à priori bien simple qui se complique un peu dès leur arrivée à Caramany. Sous la Monarchie de Juillet, les maires et les adjoints étaient nommés pour trois ans par le préfet. Pierre Rolland a donc cédé sa place dans le courant de l’année 1843 à Jean Montferrand. Celui-ci étant le neveu du curé qui a défrayé la chronique durant la période révolutionnaire, on aurait pu s’attendre à ce qu’il poursuive les bons rapports entre la paroisse et la mairie. Ce ne fut pas du tout le cas et les relations avec l’abbé Bria vont immédiatement devenir exécrables. Déjà en conflit sur les réparations en cours au presbytère, maire et curé vont revendiquer la responsabilité des cloches dès leur arrivée au village. L’abbé Bria les enfermera d’ailleurs dans la sacristie. Remis en place par le préfet qui répond à sa plainte du 1er septembre 1844 que « Bien qu’achetées avec les fonds de la commune, elles doivent être sous la garde et à la disposition de la Fabrique et l’administration municipale n’a point à s’en occuper », Jean Montferrand provoquera l’arrêt des travaux de construction du clocher, après s’être plaint du détournement, par l’abbé Bria, au profit des réparations au presbytère, d’une partie de la chaux destinée à la construction du nouvel édifice. Il faudra d’ailleurs attendre la nomination comme premier magistrat de Jean Estèbe Peyrot, en 1846, pour que les travaux au clocher reprennent et en 1848, le mandat de Jean Montferrand sera qualifié par son propre secrétaire de mairie, Auguste Azaïs, d’ « administration ennemie du progrès ». L’ambiance devait être tendue dans la maison commune.
Et la troisième ?
Mais alors, d’où provient la troisième cloche, la plus petite placée tout en haut de la flèche, juste sous le dôme surmonté d’une boule ? La provenance des cloches Catherine et Marie Rose une fois établie, j’émettais très vite l’hypothèse qu’elle était bien plus ancienne. En faisant le plan du clocher l’abbé Bria avait bien prévu trois étages campanaires reliés entre eux par des ailerons diagonaux. S’il avait persuadé la commune d’ acheter deux cloches, c’est que l’église en possédait déjà une.
Je me remémorais alors qu’en parcourant le premier registre de délibérations, conservé aux archives communales, deux ou trois documents plus anciens y avaient été insérés, et plus particulièrement la convocation des notables à la réunion préparatoire des Etats généraux de l’année 1789.
« L’an mil sept cent quatre vingts neuf et le huitième jour du mois dans le lieu de Caramaing par devant Paul Pujol et Jean Sabineu, consuls, ont été assemblés en la forme ord(inaire) et manière accoutumé au son de la cloche les conseillers politiques … ».
L'église Saint-Etienne possédait donc bien une cloche, déjà sous l’Ancien Régime. En l’absence de clocher, elle devait être apposée sur le mur sud, côté habitations et actionnée de l’intérieur au moyen d’une corde.
Au vu de sa petite taille, j’avais d’abord supposé qu’elle ne comporterait pas d’inscription. Ce en quoi je me trompais. Mais comment le vérifier ? Essayer de l’atteindre par une longue échelle à partir du toit du clocher paraissait bien périlleux. C’est en discutant avec des amis que l’idée d’une « inspection » par drone fut lancée.
Et c’est ainsi que par une belle journée de l’été 2023, des prises de vue ont pu être effectuées, avec l’autorisation de monsieur le maire, Christian Lemoine, par Mathieu Caillens et Florian Laubier.
Et surprise, on distinguait sur la partie haute de sa robe un cercle de grosses lettres gothiques et une absence de date et de signature confirmant qu’elle n’était pas contemporaine des cloches de la fonderie Cribailler et qu’elle était plus ancienne. Restait à déchiffrer cette inscription. Je distinguais pour ma part des A et des N, mais il fallut une expertise plus poussée de Philippe Garcelon pour faire émerger le début de la prière à Marie : AVE MARIA GRATIA PLENA . La ‶petite cloche″ était une cloche mariale.
Une recherche publiée en 1891 par Edmond de Rivières, et intitulé Etudes campanaires faisait état de deux cloches semblables dans des localités proches de Caramany, en l’occurrence Estagel et Vinça. Elles ont, toutes les deux, été fondues au XVIe siècle.
Si notre cloche mariale remonte à la même période, ce qui restera au stade de l’hypothèse, elle appelle les fidèles à la messe depuis plus de 400 ans.
Sources :
- Archjves communales - Registres de délibérations 1790-1813 et 1838-1865
- Etudes campanaires, nouvelle série, Edmond de RIVIERES, paru dans le Bulletin Monumental, tome 57 année 1891
- Archives diocésaines - Bibliothèque de l’Évêché de Perpignan
Photos :
miniature et 1: clichés réalisés par William Monticone, maçon-couvreur, pour le service communication de la mairie.
2: la cloche mariale: cliché drone Florian Laubier
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