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Aubin Molins, un Poilu de 14

Né dans une bonne famille !

 Aubin Molins est né le 19 avril 1893 dans la plus grande maison de Caramany. C'est le premier enfant d'Antoine Molins et d'Anna Sire, propriétaires et commerçants. Ils tiennent au quartier du Centre, une épicerie-mercerie- tissus et confections en tous genres, fondée en 1859 par les parents d'Antoine.

La maison MolinsLes affaires de la famille Molins sont prospères et l'avenir d’Aubin semble assuré.

C'est un bon élève, d'abord à l'école publique de Caramany où il obtient son certificat d'études en 1907, puis il est mis en pension à Céret. Sa correspondance de l'époque laisse apercevoir sous des phrases rassurantes pour ses parents que l'éloignement de la famille est une petite épreuve pour lui. Car entre temps, la fratrie s'est agrandie.

Sont nés Gabriel, dont il est aussi le parrain, en 1899, Antoinette en 1900, Maximin en 1903 et Anna en 1905, la petite dernière dont la santé fragile le préoccupe.

Dès son adolescence, de toute évidence pour se préparer à la succession, Aubin participe aux travaux de la vigne et aux tournées que fait son père dans les villages des alentours pour vendre sa marchandise. En septembre 1908, à 15 ans, il devient adhérent de la société de secours mutuel à laquelle il versera fidèlement son adhésion … jusqu'en juin 1914. 

C'est la mobilisation ! 

Aubin adolescentEn ce début d'été, les journaux annoncent des nouvelles de plus en plus inquiétantes. Les rumeurs de guerre se font de plus en plus fortes. Fin juillet, Jean Jaurès, député socialiste du Tarn a déclaré « que jamais depuis quarante ans l'Europe n'a été dans une situation plus menaçante et plus tragique. »

Le 31 juillet, à Paris, il tombe sous le balles de son assassin.

Le 1er ou le 2 août, du haut de notre clocher, le tocsin retentit au dessus du village. L'ordre de mobilisation générale a été proclamé.

Aubin est de la classe 1913, donc mobilisable et, en ce mois d'août, son destin va basculer.

Il est affecté au 53ème régiment d'infanterie, le 53ème RI comme l'on dit dans le jargon militaire. C'est le régiment des Catalans basé à la citadelle de Perpignan qui était alors une ville de garnison, pour l'armée, une place forte de première classe. En plus du 53ème RI, elle abritait dans ses murs le 24ème RIC (régiment d'infanterie coloniale), l'établissement régional du génie, l'intendance, la 16ème section d'infirmerie militaire et la 16ème légion de gendarmerie.

Comme beaucoup de ses concitoyens1, Aubin doit quitter Caramany et se rendre au chef-lieu du département. Il reste encore en territoire connu car, au faubourg saint Assiscle, l'épicerie-charcuterie est tenue par Maximilien Molins, son oncle et parrain. Et dans les premiers temps, il va souper en famille tous les soirs, cette escapade lui permettant de commencer avec ses parents des échanges épistolaires nombreux.

Les époux Molins ont religieusement gardé cette correspondance. Et c'est ainsi que nous apprenons par Aubin lui même ce qu'il a vécu... jusqu'au moment fatidique. 

La vie de soldat

 La première lettre que nous découvrons est écrite sur papier à en tête de la maison Molins de Perpignan et est datée du 13 août : « Que vous dirai je de la vie militaire ? Je ne la connais presque pas encore car depuis que je suis ici, je n'ai fait encore aucun repas à la caserne, ayant toujours obtenu la permission de sortir en ville. Mais je ne sais pas si cela durera longtemps. Ce soir je soupe chez parrain et ne rentrerai à la citadelle que demain à cinq heures et c'est probable qu'on m'habillera, car je suis le seul des soldats de la classe 1913 qui ne suis pas habillé, car je suis arrivé le dernier. Jamais je n'aurai cru que nous soyons tant de jeunes soldats de 1913... »

Enfin il précise pour la correspondance retour son affectation exacte: 26ème compagnie, 4ème escouade.

Une semaine plus tard, lettre du 20 août, il a commencé sa préparation militaire. « Je puis vous assurer que l'on ne se passe de rien. Chaque matin réveil à 4h ½ et à cinq heures nous partons à l'exercice et jusqu'à dix heures nous ne rentrons pas, c'est à dire jusqu'au moment de la soupe et le soir de 2 à 5 h... »

Le 25 août, il répond à une lettre reçue la veille et s'inquiète pour sa sœur Anna : « Vous me dites que ma chère sœur Anna ne va pas aussi bien que vous le désireriez.» Et plus loin, « Je sais bien que la petite Anna serait fière de me voir habillé en soldat ainsi que vous tous mais il est absolument impossible d'aller en permission. »

Mais il écrit aussi : « Il paraît que nous partirons de Perpignan pour aller à la frontière vers le 20 septembre mais il n'y a encore rien de sûr. Sous peu de jours, il va partir un détachement de 1 100 hommes. Ils sont déjà équipés et prêts à partir au premier ordre. Il ne restera à la citadelle que la classe 1900 et les jeunes soldats. »

Cette nouvelle a bouleversé sa maman Anna Sire et le 30 août , il essaie maladroitement de la rassurer : « Je suis étonné que maman soit désolée parce que je dois partir le 20 septembre. Mais comme je vous l'ai dit il n'y a rien de sûr. Car le capitaine nous a dit que nous partirions à cette époque si nous étions capables de manier le fusil. Mais comme on nous a donné le fusil ce matin, c'est probable que nous ne partirons pas à cette époque surtout que le fusil qu'on nous a donné est du modèle 1874 et dont on ne se sert pas aujourd'hui. Celui là ne nous servira qu'à faire les mouvements avec l'arme... » Il ajoute en PS : « Pour la photographie, patientez encore. Je vous l'enverrai quand je porterai les effets neufs. »

pensée pour AnnaDébut septembre, il reçoit la visite de son père; le 20, il signale qu'il vient d'être équipé d'un fusil Lebel ; il est toujours à Perpignan mais pense à Caramany. « C'est probable qu'en ce moment vous êtes en train de vendanger ; quel plaisir j'éprouverais d’être au milieu de vous tous pour pouvoir vous aider ! »

Le 4 octobre, il préfère parler de Caramany et passe vite sur les rumeurs de départ, de toute évidence parce que sa maman victime d'un accident n'a pas besoin de soucis supplémentaires2.  « C'est avec une bien grande peine que j'apprends l'accident qui est arrivé à maman. Je vous assure que je m'attendais à recevoir de meilleures nouvelles. Il fallait maintenant un autre tracas pour vous aider davantage. Que voulez-vous ? Un malheur s'est abattu sur notre maison3, il faut qu'il y en ait encore pour finir de vous accabler. Vous ne m'avez pas étonné en me disant que la récolte de cette année avait été mauvaise. Je savais bien qu'à Ginouarde il y avait peu de chose car la coulure n'y avait rien laissé. Mais au chemin d'Ille je croyais qu'il y en aurait davantage. Enfin il faut se contenter de ce que l'on a. J'espère bien que Montalba nous compensera. Car il y avait une bonne récolte mais sûrement que les sangliers sont allés lui rendre visite. Quant à mon départ, ne vous tracassez pas de cela, vous aurez encore le temps de venir car c'est presque probable que nous partirons quand la classe 1915 sera rentrée. » 

De Lézignan vers le front : 

Le soldatLe 20 octobre, il annonce son prochain départ de Perpignan, mais c’est pour se rendre avec sa compagnie à Lézignan. La nouvelle pourrait être à priori rassurante, mais une phrase est lourde de sens : « C'est probable que nous resterons là une quinzaine de jours et puis nous irons voir les Alboches4. » Il sait (et sa famille aussi) que les choses ne vont pas durer. Comment pourrait-il en être autrement ? Un jour prochain, aura lieu un déplacement vers le front, c'est à dire les combats et le danger.

Arrivé dans la petite cité audoise le 2 novembre, il n'apprécie guère son séjour.  Le 4 novembre il écrit sur du papier à en tête de l’hôtel de France, 51 avenue du 1er mai. . « Il pleut constamment... Ce que nous ferons sera plus pénible qu'à Perpignan : chaque matin, marche en campagne et le soir exercice au tir.... Mais ce qui me déplaît davantage c'est que la population n’est pas bien affable avec les militaires. Enfin, il faut s'habituer un peu à tout. »

Le 10 novembre, le facteur de Caramany apporte un télégramme à la famille Molins « Pars ce soir 8 heures pour Perpignan ». Ses parents savent par sa lettre du 7 que c'est n'est pas une bonne nouvelle. Il s'agit de passer à la citadelle pour prendre les derniers effets de guerre. Ensuite, ce sera le départ pour le front.

La correspondance ne permet pas de dire si Aubin a pu rencontrer son père avant ce départ. Antoine Molins avait souhaité voir son fils au moment du transfert vers Lézignan mais il n'avait pas reçu l'information à temps. A t-il fait une nouvelle tentative, les courriers ne le mentionnent pas ?

La lettre suivante est datée du 14 novembre. Pour la première fois comme un signe annonciateur de ce qu'il va vivre désormais, sa lettre est écrite au crayon gris et sur une carte réponse en franchise fournie par les autorités.

Il signale qu'il passe à Chalons sur Saône, « Que maman ne se désole pas car je suis parti avec le ferme espoir de vous revoir. » Le 15, il est à Dunkerque. Le 17, il donne des nouvelles de son cantonnement. « Nous avons débarqué hier soir à Caestres, petit village qui se trouve à 10 km de Hazebrouck (Nord) à 11h. Nous avons dû faire 4 km pour aller à notre cantonnement. Je vous assure qu'il me tardait de pouvoir se coucher dans la paille car je n'avais pas dormi de trois nuits. »

Le 19 novembre, il a le temps d'écrire plus longuement. Le cantonnement est calme, le ravitaillement se fait auprès des fermes environnantes. Mais il fait très froid. Il donne la liste des soldats des environs de Caramany qu’il a rencontrés et demande qu'on lui envoie des cartes postales et du papier à lettres.

Depuis sa mobilisation , il n'a pas manqué de signaler dans ses lettres les noms de tocourrier militaireus les Carmagnols qu'il croisait afin que ses parents transmettent les bonnes nouvelles aux familles concernées. On comprend aisément l'importance pour le moral que pouvait avoir le fait de rencontrer des connaissances si loin du pays et si prêt du danger. 

Soldat dans les tranchées : 

Celle du 25 novembre a dû jeter la consternation dans la famille, le moment tant redouté arrive.

« Je suis toujours dans le même cantonnement mais nous allons le quitter dans une heure, car je vous l'ai dit dans ma dernière lettre, nous allons dans les tranchées.

Ce matin, j'ai rencontré Dabat Eugène qui est en bonne santé. J'ai dîné avec Honoré Trousseu de Cassagnes et avec Justin Dabat et Fernand. »

A partir de ce moment-là, les difficultés d’acheminement du courrier se font sentir. (A suivre) 

Notes :

  1. D'autres recherches permettront, je l'espère, d'établir la liste de tous les Carmagnols qui ont été mobilisés.
  2. Antoine Molins avait écrit le 1er octobre : « avant-hier encore ta maman a failli se tuer, heureusement elle en sera quitte avec une plaie au front qui sera vite guérie et une fracture partielle au poignet qui demandera plus de temps, 15 ou 20 jours au moins. Le docteur Pons lui a mis un appareil en plâtre. Il n'y a pas lieu de s'alarmer bien entendu car à l'époque où nous vivons, il faut s'attendre à tout et penser qu'il y en a de plus malheureux que nous, mais enfin nous sommes bien loin d'être gais à la maison. L'accident lui est arrivé en en allant donner de l'avoine à un étranger qui, ayant fait un faux pas à l'escalier est tombé sur elle en la précipitant sur l'angle de la porte du puits. »
  3. Ill évoque l'état de santé de sa petite soeur Anna qui est plus que préoccupant puisqu'elle décédera deux jours plus tard le 6 octobre. Aubin aura été mis au courant puisque après cette lettre du 4 octobre, il ne parle plus de sa sœur dans ses courriers, contrairement à ce qu'il faisait précédemment.
  4. Terme employé à l'époque, issu de Allemoche, forme argotique de allemand, puis raccourci ensuite en boche. (Dictionnaire Robert) 

Sources :

Photos:

1: Papier à en-tête de la famille Molins

2: Aubin adolescent

3: Toujours une pensée pour Anna

4: Le soldat Molins

5: Carte réponse fournie par les autorités militaires