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1792-1795 : Volontaire... ou réfractaire

Le départ du citoyen. 1792: La patrie est en danger. Les premières années de la république sont difficiles, car elle est attaquée de toute part; le tout jeune département des Pyrénées orientales subit les assauts des Espagnols du général Ricardos (voir l’article sur les canons de Caramany).
Les communes doivent fournir des volontaires mais les jeunes gens refusent souvent d’être incorporés. D’autres désertent. Les municipalités mises à contribution par l’autorité militaire sont ou font mine d’être impuissantes.
(Illustration: Le départ du citoyen, par J-J. F. Le Barbier)

Voici la lettre écrite par le maire de Caramaing, le 22 floréal an 3, soit le 11 mai 1795 . Elle se trouve aux archives départementales des P-O et a été publiée, à l’occasion du bicentenaire de 1989, dans un dossier pédagogique intitulé « La révolution française en Roussillon ».

Caramaing, le 22 floréal, l’an 3 républicain

Citoyen
Nos avertissements réitérés, même nos menace* ne suffisent point pour déterminer les volontaires qui voltigent dans notre commune à rejoindre leurs corps. Ils sont le sujet de beaucoup de sollicitudes et nous avons la douleur qu’en leur démontrant la nécessité et le danger où ils s’exposent de ne pas partir, de les voir en haine contre nous. Voila les fruits amers que nous recueillons. Nous leur avons fait part de vos réclamations, nous prendrons touts* les moyens pour les y faire conformer, comptez toujours sur notre zèle .
Salut et fraternité

C Chauvet, maire
Barrer, officier
Gély,officier m(unicipal)

NB: Charles Chauvet est le troisième maire de Caramany…mais le premier qui ne soit pas illettré. Il  a acquis la quasi-totalité des terres du comte de Mauléon-Narbonne. C'est le fils de Jean-Baptiste  Chauvet, élu au premier conseil général du département  et le petit-fils d’Etienne Chauvet, chirurgien décédé en 1759 . Leur maison, toujours la plus grande du village, se situe au pied de la rue du clocher et est bordée sur deux côtés par le chemin d’Ille et sur les deux autres par la rue du Rébelli.
*l’orthographe est conforme à l’original.

CERTAINS FONT QUAND MÊME LEUR DEVOIR.

Dans sa lettre à la municipalité, le capitaine Tiffou menace les déserteurs mais nous informe par contre que des volontaires de Caramany accomplissent leur devoir courageusement dans le secteur de Collioure. Hélas nous ignorons les noms des uns et des autres.
(L’orthographe est là aussi conforme à l’original.)

A la tour le 20 août 1793 an 2 de la rép(ublique) françoise

Citoyens,

j’ai cru de mon devoir de vous prévenir que je suis envoyé de la part du général pour faire joindre les déserteurs et pour faire punir suivant la rigueur de la loi un volontaire de ma compagnie qui avait passé lenémei et qui a ette pris du côté de St féliu par quelques gens dârme. voyes quel est le sort de ce misérable il a voulu tourner les armes contre sa patrie mais la patrie va se venger en se délivrant de ce monstre. vous pouves par conséquent prevenir les cinq volontaires qui sont dans votre commune de se rendre dimanche prochain sans faute a la tour pour que je leur donne la route qu’ils doivent suivre pour joindre le bataillon à présent à Collioure. dites leur de venir volontairement parce quautrement je vais employer toute la force de ma mission pour leur faire subir les rigueurs de la loi. je serai fache déttre obligé de prendre des moyens répressifs envers des citoyens que j'ai toujours considéré et que je considère encore et à qui jaccorderai toutes sortes de faveurs sils ne me forcent pas à leur faire de la peine assurément ils ne me mettront pas dans ce cas.
je suis prié de la part des volontaires de caragman* qui sont sous les drapeaux de faire bien des compliments a touts leurs pères et mères. je vous prie de le faire pour moi ils se portent tout à merveilles et se distinguent touts les jours par leur courage.
J’ai l’honneur dêttre votre concitoyen

Tiffou, capitaine dans le 4ème bataillon des pirénees orientales èn garnizon à Collioure

* et voila encore une façon d’écrire Caramaing bien étrangement. Mais là au moins, nous connaissons l’auteur.

La Bataille du Boulou. (anonyme)
(bataille du Boulou)

LES CARMAGNOLS AU 4ème BATAILLON DES VOLONTAIRES DES PO.

Les textes précédents mentionnaient la participation de volontaires de Caramany à l’armée des Pyrénées Orientales. Des recherches plus approfondies ont permis de mettre des noms sur ces fameux volontaires, de connaître leurs chefs et même quelques unes des batailles auxquelles ils ont participé.

Le 4ème bataillon et sa composition :
Un premier constat s’impose : Dans cette armée des Pyrénées Orientales, les hommes provenant du Fenouillèdes étaient regroupés dans le 4ème bataillon. Ils sont originaires, d’Ansignan, Cassagnes, Latour de France, Saint Martin de Fenouillet, Lesquerde, Caudiès, Maury, Prugnanes, Rasiguères, Bélesta, Saint Arnac, Fenouillet et bien sûr Caramaing . Quelques Roussillonnais, en tout petit nombre, figurent parmi eux.
Deuxième constat, ils ont tous été recrutés à la même date : le 8 mai 1793. Ont-ils tous rejoints leurs quartiers à cette date ? Il semblerait bien que non, d’après la lettre du capitaine Tiffou en date du 20 août de la même année.
Caramany était représenté par au moins huit des ses citoyens:

  1. Pierre Bédos, né en 1768, fils de Pierre et de Marguerite Bédos
  2. Pierre Bédos dit Vessière, né en 1770, fils de Jean et de Marie Bédos
  3. Joseph Caillens, né en 1754, fils de Martin et Catherine Caillens
  4. Pierre Calvet, né en 1770, fils de François et d’Anne Calvet
  5. Gabriel Gillart, né en 1774, fils de Jean et de Françoise Gillart
  6. François Marti, né en 1769, fils d’Etienne et de Marie Marti
  7. Julien Pujol, né en 1770, fils de Paul et Marie Pujol
  8. Louis Roger, né en 1774, fils de jean et de Catherine Roger.

Joseph Caillens, âgé de 39 ans, est de très loin le plus âgé du bataillon ; le plus jeune, de Tressere, était né en 1777 et a donc été incorporé l’année de ses 16 ans. Les années de naissance les plus représentées sont 1770, 1773 et 1774. La plupart de nos soi-disant volontaires avaient donc 19 ou 20 ans.

Autre constat : aucun Carmagnol ne figure parmi les gradés. Autour de Tiffou, le capitaine déjà mentionné, on relève les noms d’un lieutenant, Jacques Sibieude, de Latour, nommé le 10 mai 1793, deux jours après le recrutement du bataillon certainement à cause de son village d’origine , un adjudant Jean Salvat de saint Paul, nommé le 16 floréal an 3 (5 mai 1795), deux sergents Emmanuel Pons de Maury, nommé le 20 nivôse an 3 (9 janvier 1795) et Raymond Rausi de saint Paul, nommé le 6 ventôse an 3 (24 février 1795), enfin un caporal Gracien Marquier de Maury, nommé le 28 ventôse de l’an 2 (18 mars 1794).

Les combats du 4ème bataillon :
Au mois d’août 1793, le 4ème bataillon était en cantonnement à Collioure. Le 11 août, appelés en renfort, les volontaires du 4ème arrivent à Banyuls, à neuf heures du matin et trouvent les habitants et la garnison aux prises avec l’ennemi. Ils mettent les Espagnols en fuite et font même un prisonnier. Le capitaine Tiffou précise qu’il n’ya pas eu un seul blessé parmi "ces braves guerriers encore peu expérimentés". Ils logent ensuite chez les citoyens du village, "de deux en deux ce qui adoucit leur sort". L’accueil des gens de Banyuls serait-il un peu forcé ? Les braves guerriers craindraient-ils de loger seuls chez l’habitant. N’oublions quand même pas qu’originaires du Fenouillèdes, ils devaient s’exprimer en langue d’oc et qu’ils se trouvaient là en plein pays catalan, dont une partie de la population hostile à la république était même favorable aux Espagnols.
Le 4ème bataillon ne resta pas longtemps à Banyuls. Sur sa lancée, il franchit la frontière et se trouve à Espolla, le 16 brumaire de l’an 2 soit le 6 novembre 1793. C’est là que Joseph Perié de Bélesta est fait prisonnier de guerre.
L’année suivante, nos volontaires ont participé à la célèbre bataille du Boulou*. Le 10 floréal de l’an 2, soit le 29 avril 1794, leur camarade Jean Pierre Pomes, de Saint Arnac, périt sur le champ de bataille ; c’était le premier jour d’ affrontements qui devaient durer trois jours.
Ils participent ensuite à la bataille de la Muga* au cours de laquelle le Carmagnol Louis Roger est estropié d’une main.

Braves guerriers ou volontaires par force :
Malgré toutes ces précieuses informations, nous ne savons toujours pas, qui le capitaine Tiffou désigne dans sa lettre du 20 août à la municipalité de Caramaing. Il parle de cinq volontaires qui n’ont pas rejoint leur corps. Il dit aussi que certains Carmagnols sont déjà sous les drapeaux " et se distinguent tous les jours par leur courage".
Sur le papier, nos huit concitoyens ont été incorporés le 8 mai 1793. Si certains sont parmi les cinq concernés, cela signifie que quatre mois après leur incorporation, ils étaient toujours à Caramany.Ils ne font pas exception car durant ces années de guerre pour défendre la jeune république, les désertions ont été nombreuses. Les hommes appelés à l’armée sont avant tout paysans pour qui, il n’est pas facile d’abandonner leurs terres. Les Pyrénées orientales sont loin de Paris et ils ne comprennent pas non plus très bien les enjeux politiques de ces guerres. Difficile de dire le sens que doivent avoir pour eux les mots de patrie, citoyen, république. (Il y a à peine 4 ans, ils étaient encore sujets d’un roi et vassaux d’un seigneur).
Pour toutes ces raisons, le capitaine Tiffou a eu du mal à récupérer ses hommes mais aussi à les garder. C’est ainsi que François Marti a quitté le 4ème bataillon dès le 1er vendémiaire (22 septembre 1793). Peut-être avait une récolte à rentrer ?
Pierre Bedos et Julien Pujol sont signalés comme déserteurs le 1er germinal de l’an 2 (21 mars 1794). On peut raisonnablement penser qu’ils sont partis ensemble.
Enfin, Pierre Calvet suit l’exemple de ses camarades le 15 germinal (4 avril 1794) Tous les trois ont évité de quelques jours la bataille du Boulou.
Et ils ont du être imités par d’autres puisqu’en mai 1795, Charles Chauvet, maire de Caramaing explique aux responsables départementaux qu’il a bien du mal à convaincre les volontaires de rejoindre leur corps.

La bataille du Boulou. Plume et lavis par J.Gamelin


Bataille du Boulou par Jacques Gamelin (1738-1803)

Annexes:
1- La bataille du Boulou : Pendant l’été 1793, l’armée espagnole après avoir occupé une grande partie des Pyrénées orientales, avait été repoussée jusqu’au Tech grâce à la victoire de Peyrestortes. Elle avait hiverné près du Boulou. Le 29 avril, le général Dugommier déclenche les hostilités. Une colonne française prend les Espagnols à revers et le 1er mai la retraite se transforme vite en déroute. L’ennemi est repoussé au-delà du Perthus.
2- La bataille de la Muga : Depuis le 7 mai 1794, le général Dugommier assiégeait avec 25 000 fantassins la garnison espagnole du fort de Bellegarde au Perthus. Pour essayer de libérer ses hommes, le général en chef de l’armée espagnole, le comte de la Union, décide d’attaquer simultanément les deux ailes de l’armée française, à droite par Sant LLorenc de la Muga et à gauche par Cantallops pour ensuite se rabattre au centre vers Bellegarde.L’assaut est donné le 13 août 1794.Les français résistent bien ; devant le nombre de morts et de blessés, les Espagnols abandonnent Bellegarde à son sort et se replient derrière les remparts de Figuères.

 

Photo: "La bataille du Boulou" par Jacques Gamelin, musée Paul Dupuy, Toulouse. Photographié par Daniel Molinier.