Nous vous recommandons quelques sites voisins.

Visitez-les !

Nouveauté sur le site :

Galerie de photos

La tombe de l'Horto

Depuis de nombreuses années, un projet de base nautique aux abords du lac de Caramany fait couler beaucoup d’encre et donne matière à toute sortes de discussions. Certains restent sceptiques quant à sa réalisation, d’autres y voient une opportunité économique pour le village, grâce à un accroissement de son activité touristique.

Soutenu activement par les municipalités successives, le projet s’est accéléré lors du dernier mandat. Lorsqu’il est question de grands travaux, en particulier de terrassements, comme ce serait le cas ici, il est d’usage de réaliser des fouilles archéologiques préventives afin de s’assurer qu’une documentation précise sera effectuée avant que le patrimoine historique ne soit partiellement ou intégralement altéré.

C’est ainsi qu’en 2018, des fouilles archéologiques ont permis quelques découvertes remarquables. En l’occurrence, la mise à jour de trois nécropoles datées de la fin de l’antiquité et du Moyen-Âge, ainsi que la découverte de traces d’un village médiéval abandonné aux alentours du XIVéme siècle. En effet, la population de ce dernier a migré vers l’actuel village situé autour du « grand rocher » (cf. photo ci-dessous), sur lequel était érigé le château et son une enceinte fortifiée (Dans un article à venir, nous aurons l’occasion d'évoquer les découvertes réalisées lors de ces fouilles ; plus particulièrement sur la zone notée "nécropoles ").



Le présent article se propose de relater la découverte, réalisée en marge du site des nécropoles, et ayant permis de mettre à jour une sépulture isolée qui ne nous a pas révélé tous ses secrets. Un Carmagnol est à l’origine de la découverte de cette sépulture et des fouilles qui en ont découlé.

Gérard Bergès, qui a toujours manifesté un intérêt certain pour l’histoire de son village, arpentait cette zone, localement connue des tous, qui se situe en surplomb de la confluence entre Rec de Llusens et l’Agly. Le petit promontoire en question se remarque d’autant plus quand il se transforme en un ilot, lorsque le niveau d’eau de la retenue du barrage s’élève (voir image ci-contre)

Gérard Bergès, interpellé par des éléments inhabituels qui affleuraient en surface a eu la présence d’esprit de le signaler aux archéologues qui se sont déplacés sur les lieux pour procéder aux investigations d’usage.

Ainsi, le17 et le 18 octobre 2011, deux agents du pôle archéologique départemental, assistés par Alain Vignaud (archéologue à la retraite résidant à Caramany) ont procédé à une fouille méticuleuse de la tombe afin d’en réaliser la documentation.

Le lieu, tantôt à sec ou immergé est particulièrement exposé. En effet, il est fortement fragilisé par le ressac des eaux du lac au gré des saisons (comme le montre l’image ci-contre). Ce constat a conduit les archéologues à pousser au plus tôt leurs investigations, avant que l’érosion n’achève de faire disparaitre toute trace.

Parmi les éléments découverts, on trouve des fragments de céramique sigilée*, datés de la fin de l’antiquité ainsi qu’un squelette humain; ce qui a permis d’émettre l’hypothèse que ces céramiques étaient de nature funéraire.

Je reprends ci-dessous quelques extraits (textes et illustrations) du rapport relatif à ce sondage archéologique, publié par Jérôme Bénézet et Mickaël Valade, sous le titre : « Une tombe isolée de l’Antiquité tardive près de l'Horto à Caramany ».

Ce document a été édité en décembre 2011 sous l’égide du « Pôle Archéologique Départemental / Conseil Général des Pyrénées-Orientales » (Le conseil Général des Pyrénées-Orientales étant le propriétaire foncier du terrain).

NB: Pour les lecteurs qui souhaiteraient en savoir plus, le Pari du Lac, attaché au partage des connaissances, ouvre le rapport complet de ce sondage archéologique et le met à votre disposition en téléchargement: Cliquer ici .

 

1 - Environnement de la sépulture :

« Préalablement à la fouille de la sépulture, un décapage extensif de la zone a été effectué, soit au total une vingtaine de m²… (la zone) contenait de façon éparse du mobilier antique, parfois partiellement brûlé, mais on notera une concentration plus importante au nord de la sépulture, du côté où cette dernière a été en partie érodée : certains fragments recollent entre eux, mais aucune forme n'a pu être réellement reconstituée.



Ci-dessous : fig. 4 : Echantillon de mobilier antique mis au jour lors de cette opération. 1, 4 : sigillées africaines C. 2-3, 5 : sigillées africaines D. 6 : céramique grise fine. 7-9 : céramiques à pâte claire. 10-14 : céramiques culinaires africaines. 15 : céramique commune oxydante. 16-17 : céramique non tournée. 18-19 : verre incolore. 20 : alliage cuivreux.


« Ce mobilier est a priori totalement antique, avec une majeure partie se rapportant au IVe siècle, en particulier les céramiques sigillées africaines … Le décapage n'a livré aucune autre structure ou aménagement susceptible de marquer l'emplacement de sépultures entièrement détruites. La tombe découverte semble donc ici totalement isolée. »

2 - La sépulture :

« Celle-ci est incomplète, comme on pouvait le craindre après sa découverte. Le ressac de la retenue d'eau avait en effet emporté le tiers septentrional : le squelette ainsi que le coffrage étaient donc conservés seulement à partir des fémurs, la partie inférieure de ceux-ci manquant aussi ».

3 - Le contenant :

Coffre ou coffrage de bois calés de blocs ?
« La sépulture a été installée entre deux affleurements rocheux aménagés sommairement, formant ainsi une sorte de fosse au fond à peu près plat. Une série de blocs de calcaire local et de travertin très sommairement équarris était encore partiellement conservée sur les parois latérales, formant un espace interne de 0,54 m sur une longueur conservée d'environ 1,35 m. L'absence de bloc au niveau du crâne interpelle et l'on peut se demander si les blocs positionnés sur les grands côtés de la fosse ne constituent pas plutôt un aménagement permettant le calage d'un coffrage en matériau périssable (bois probablement) non cloué. Ce dernier type d’aménagement est connu dès le Ve et jusque dans le courant du VIIe siècle… »

4 - L’individu en place et le mobilier associé :

« L'individu a été déposé sur le fond de la fosse, probablement sans aménagement spécifique sinon celui mentionné plus haut d'aplanissement du terrain. Il est positionné en décubitus dorsal, la tête au sud/sud-ouest. Le membre supérieur droit est légèrement fléchi sur l'abdomen tandis que le gauche est aligné le long du corps. Les membres inférieurs semblent en extension, dans l'alignement du corps. L'état de conservation du squelette est très médiocre … les mains et les pieds ont totalement disparu. On peut donc seulement indiquer qu'il s'agit d'un sujet adulte, de sexe indéterminé… »



« Le seul dépôt funéraire associé à cet individu est un outil en fer, positionné le long du fémur gauche, à même le fond de la tombe. Il s'agit d'une dolabre, objet multifonctionnel présentant d'une part une lame de hache parallèle au manche et de l'autre un tranchant horizontal recourbé vers le bas. Outil par excellence du soldat du génie romain, il se retrouve aussi parmi la panoplie de plusieurs corps de métier : les paysans s'en servaient pour enlever des racines lors de la préparation d'un champ à la culture, pour fouiller et ameublir un sol ou parfois pour abattre un arbre ; les bûcherons utilisaient la pointe tournée vers le haut pour amener des rondins dans la position souhaitée ; les mineurs et les terrassiers employaient quant à eux la pointe recourbée vers le bas pour déloger des pierres encastrées dans une carrière ou une mine. »

 

5 - Synthèse des données :


« Le décapage extensif de ce secteur tend à indiquer que cette sépulture est isolée. La diffusion du mobilier antique autour de celle-ci, dans un rayon très réduit, semble en outre le confirmer. Il pourrait en outre s'agir de mobilier provenant de la tombe même et éparpillé par l'érosion/destruction de celle-ci. Cet ensemble couvre une période relativement large entre la fin du Ier-IIe siècle et le courant du IVe siècle. Toutefois, la datation radiocarbone réalisée sur un humérus de l'individu en place indique une datation beaucoup plus tardive, le VIIe siècle. Il faut donc en conclure que ce mobilier est en position secondaire, du moins par rapport à l'individu encore en place…. Toutefois, le lot le plus important, daté du IVe siècle, ne peut se rapporter à aucun lieu de peuplement connu sur cette rive. Celui-ci est beaucoup moins fragmenté, certains vases sont représentés par plusieurs éléments, parfois non jointifs : les deux récipients en sigillée africaine, un ou deux récipients à pâte claire (engobée ou non) et le gobelet en verre, auxquels on pourrait éventuellement adjoindre le petit anneau en alliage cuivreux et peut-être certains fragments non tournés. Cet ensemble étant réparti sur la totalité du comblement, il est tentant de l'associer aux ossements humains retrouvés épars et formant peut-être les restes d'une réduction. Cela signifierait toutefois que la tombe aurait été mise en place au IVe siècle, soit deux à trois siècles avant sa réutilisation. C’est-à-dire qu’il aurait fallu que la signalisation en surface soit encore visible, donc en matériaux pérennes et suffisamment solides pour subsister autant de temps. Il n'est pas non plus exclu que ce sédiment ait été apporté en totalité d'un autre secteur, par exemple du Pla de l'Aïgo situé un peu plus en amont et sur la rive opposée, habitat donc la chronologie se situe justement entre la fin du Ier-début du IIe siècle et le milieu du IVe siècle. Le squelette encore en place ne pose pas moins de questions. La première est le caractère totalement isolé de cette découverte du VIIe siècle. En effet, la plupart des sites des environs semblent a priori abandonnés dans le courant du IIe siècle, au moment où d'ailleurs le phénomène d'épandage des terres semble stoppé : le site de l'Horto ainsi que celui probablement situé aux alentours du lieu-dit Lo Jounquié, un peu plus en amont, n'échappent pas à cette règle. Seul celui du Pla de l'Aïgo se maintient quelques temps, mais il n'atteint pas non plus le Ve siècle. Finalement, le seul site connu du secteur occupé au VIIe siècle est celui du Mas à Ansignan, mais bien plus en amont et sur la rive opposée… Comme on a pu le constater, cette sépulture isolée soulève un certain nombre de questions, dues en particulier à sa mauvaise conservation mais aussi à sa situation atypique, à l'écart de tout habitat contemporain connu. Elle marque ainsi un nouveau point d'occupation wisigothique dans le Fenouillèdes : isolée, en bordure d'un chemin, sur un secteur où la mise en culture n'est pas aisée, elle domine cependant les meilleures terres cultivables, celles qui bordent l'Agly. Il est donc probable qu'un petit habitat contemporain, peut-être semblable à celui du Mas à Ansignan, se situe dans les environs, peut-être à l'emplacement même du village médiéval de l'Horto, quoique les prospections menées en 1985 n'aient rien montré de tel…»

 

Caramany renferme probablement d’autres sites archéologiques remarquables que nous foulons peut-être, sans nous en douter, lors de nos randonnées dans ce merveilleux site du Fenouillèdes que nous nous devons de préserver de toute les altération susceptibles de le dénaturer.

 

Notes :

* La céramique sigillée est une céramique fine destinée au service à table caractéristique de l'Antiquité romaine. Dès la fin du IIe siècle et le début du IIIe siècle, la céramique sigillée africaine est produite en grande quantité dans l'ensemble des provinces méridionales de l'occident romain. Puis vers 230 apparaît la sigillée claire, elle aussi exportée très largement et souvent en parallèle avec des amphores. Dès lors, les productions céramiques africaines se diffusent sur tout le pourtour du bassin méditerranéen, en Occident mais aussi en Orient et cela jusque vers le milieu du VIIe siècle.