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L'instituteur sériciculteur

 Un éducateur à CaramanyA droite de la grand rue, lorsque vous rentrez dans le village par la route de Bélesta, vous pouvez apercevoir sous une grande balustrade, un ravin très pentu où subsistent, au milieu de quelques herbes folles, quelques amandiers.

Il porte comme nom les Amourières, c'est la seule trace que nous a laissée une culture qui a eu cours à Caramany autour des années 1900: la sériciculture ou l'élevage des vers à soie.

On peut lire dans une notice du Ministère de l'agriculture datée de 1908 2, que « les vers à soie occupent une place assez importante à Latour, Estagel, Cassagnes, Caramany, etc.. » Cette activité a t-elle réellement eu de l'importance dans la vie économique du village, rien n'est moins sûr? Dans les dernières années du XIX ème siècle, la très sérieuse Société Agricole Scientifique et Littéraire des Pyrénées Orientales 3 (SASL) dont l'un des buts était justement de promouvoir une agriculture moderne, présentait chaque année un rapport sur la sériciculture. Dans son compte-rendu pour l'année 1888 4, le secrétaire Eugène Augé a recensé le nombre d'éducateurs, c'est ainsi que l'on appelle les éleveurs de vers à soie, actifs sur le département.

Un pionnier de l'élevage des vers à soie:

 Caramany figure bien dans ce tableau (voir ci contre) mais pour un seul éducateur alors que Latour de France en compte cinquante-huit.

Qui était cet éducateur carmagnol? Le rapport de l'honorable secrétaire nous l'indique un peu plus loin puisqu'il énumère les récompenses décernées; une médaille de vermeil, trois médailles d'argent grand module, dont la première a été remise à Monsieur Pierre Canredon, instituteur à Caramany.

Compte tenu de la médaille obtenue, la deuxième dans l'ordre du mérite, on peut penser que monsieur Canredon était un sériciculteur expérimenté, reconnu par ses pairs et qu'il pratiquait donc son art depuis déjà quelques années 5. Ses compétences seront d'ailleurs récompensées à d'autres reprises.

En 1889, la commission de sériciculture souhaitant mettre en avant cette spécificité départementale à l'Exposition universelle de Paris fait appel aux producteurs locaux. Tout en regrettant que peu d'éducateurs aient apporté leur contribution, elle remercie chaleureusement ceux qui ont répondu à son appel et Pierre Canredon fait partie de ceux-là. 6

En 1891, il se verra encore décerné une médaille d'argent et la somme de 40 francs 7. En 1895, c'est toujours le seul éducateur sur Caramany . Il apparaît ensuite en première place du concours organisé par la SASL dans le cadre des Concours spéciaux agricoles de Perpignan, du jeudi 7 au dimanche 10 juillet 1904 et se voit offrir un objet d'art et la somme de 50 francs qu'il a peut-être reçu des mains d'un haut responsable du Ministère. «  Les récompenses furent attribuées par le jury et remises aux lauréats dans la séance solennelle qui eut lieu le 10 juillet au théâtre municipal sous la présidence de Monsieur Foëx, Inspecteur général de l'Agriculture. »

Cette récompense sera non seulement publiée dans le bulletin de la SASL n° 46, mais également dans le journal d'agriculture pratique de jardinage et d'économie domestique et le journal de l'agriculture de la ferme et des maisons de campagne. L'existence de si nombreux journaux agricoles est la preuve de la place prépondérante qu'occupait l'agriculture dans ces années-là, même si l'industrialisation du pays avait pris son essor au siècle précédent.

En 1905, la commission de sériciculture de la SASL a visité les magnaneries du canton de Latour de France et on peut penser qu'elle a rendu visite à notre instituteur local. Il est intéressant de lire l'impression globale ressentie par la commission dont l'écriture est bien dans le style moralisateur de l'époque: « Ici, ce qui impressionne dès l'arrivée chez les éleveurs, c'est la propreté de la maison... Ce sont des braves gens ayant de l'ordre, travaillant sans bruit; on ne trouve pas un homme désœuvré dans les rues, les femmes ne s'attardent pas à bavarder au seuil des portes, et comme tout s'enchaîne dans la vie, les magnaneries sont mieux soignées, l'hygiène mieux comprise; et l'on reste en extase devant des éducations de vers à soie impeccables. » Joseph Canredon

Qui était monsieur Canredon?

 Pierre Canredon est né à Marsa, canton de Quillan (Aude), le 26 mars 1847 d'un père meunier à farine qui a plus tard installé sa famille à Fenouillet 8. En 1872, il est instituteur public à Serdinya 9. En 1873, il profite des grandes vacances pour épouser le 20 août à Caramany , Marie Alexandrine Éléonore Azaïs, qui était à la fois sa collègue 10 et la fille de l'instituteur du village, monsieur Auguste Azaïs . De leur union vont naître plusieurs enfants: Auguste, Michel, Antoine qui poursuivra ses études au collège de Perpignan 11, Antoine, Philippe né en 1875, Joseph Léon qui fera des études à l'école des beaux arts de Toulouse puis à l'École nationale supérieure des beaux arts (1901 - 1910) et qui deviendra sculpteur 12, Georges, Pierre Augustin , né en 1880, Fernand né en 1890 et Antoinette Adélaïde Marguerite qui deviendra à son tour, institutrice à l'école des filles de Caramany. Les Carmagnols les plus anciens se souviennent encore d'elle sous son nom d'épouse, madame Vaysse.

Le registre d'état civil et le registre des délibérations du conseil municipal montrent que Pierre Canredon a succédé à son beau père, comme instituteur et comme secrétaire de mairie le 1er janvier 1875. En effet à partir de cette date, Auguste Azaïs continue à être mentionné dans les actes, et cela pendant plusieurs années encore, comme témoin mais en tant qu'instituteur en retraite alors que Pierre Canredon apparaît désormais comme témoin mais en tant qu'instituteur public. Il occupera ses fonctions jusqu'au début du mois de mai 1905. Le 8 juin, il est cité à son tour, comme instituteur retraité.

Son départ de l'administration lui a certainement accordé plus de disponibilité pour s'adonner à sa passion de sériciculteur.

 Notes:

  1. L'amourier est le mûrier en occitan. Voir article sur la toponymie III, rubrique découvrir
  2. Notice sur le commerce des produits agricoles, tome second: production animale. Ministère de l'agriculture, office des renseignements agricoles, service des études techniques. 1908
  3. Cette société est issue du mouvement intellectuel qui a favorisé la création de sociétés savantes sous la Monarchie de Juillet. Elle a vu le jour le 21 décembre 1833 et a été reconnue d'utilité publique en 1841. Dans son premier bulletin (1835) Jaubert de Réart avait écrit: « Faisons tous nos efforts pour qu'on puisse dire un jour: il y eut à Perpignan une société d'hommes à intentions généreuses dont les travaux furent utiles à leur pays. »
  4. Bulletin de la SASL n°30
  5. La troisième médaille a d'ailleurs été attribuée à l'École normale d'instituteurs de Perpignan. Cette institution a donc été partie prenante dans le développement de l'élevage du ver à soie dans les PO et en formant les futurs maîtres a contribué à son développement. Ceci explique que l'on retrouve bon nombre d'instituteurs dans les personnes récompensées.
  6.  Bulletin de la SASL n°31
  7. Société des agriculteurs de France volume 22 page 150
  8.  acte de mariage, registre d'état civil de Caramany
  9. session du Conseil général août 1873: statistique de l'instruction primaire, année 1872
  10.  Elle était en poste durant l'année scolaire 1864 – 1865 à Cassagnes. On peut raisonnablement penser qu'elle a demandé le poste de l'école de filles de Caramany, avant ou après son mariage mais cela reste à trouver. http://cassagnes66.pagesperso-orange.fr/histoire/communale/instits.html.
  11. session du Conseil général décembre 1893: dégrèvement en faveur d'instituteurs ayant leurs fils ou frères pensionnaires au collège.
  12. session du Conseil général budget 1899: Aide aux jeunes artistes du département « Le jeune Canredon Joseph, élève de l'école des beaux arts de Toulouse, section de la sculpture qui produit un certificat attestant son assiduité et ses progrès... Sa conduite est exempte de reproches et il a obtenu le 1er prix d'étude d'après l'antique, modéle vivant, et le 2ème prix de tête d'expression.» C'est lui qui a réalisé la maquette de la statue du monument aux morts qu'il avait offert au maire Paul Gély-Fort et peut-être celle du lion. D'après madame Andrée Aubert née Muixi, il a également réalisé la statue d'hommage aux morts de la première guerre mondiale située dans l'église à droite du choeur.

 Sources:

 Photos:

- de présentation: Le ravin des Amourières au printemps.

- 1: Le tableau des sériciculteurs dans le canton de Latour de France. (bulletin de la SASL)

- 2: Joseph Canredon, sculpteur, fils de Pierre Canredon instituteur. (exposition "Mémoires d'un village")