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De la feuille de parchemin au cahier d'écolier (deuxième partie)

Les balbutiements de l'histoire municipale

Institué par décret du 14 décembre 1789 de l'Assemblée Constituante, le premier Conseil général1 de la commune est mis en place à Caramaing « par une assemblée composée de la majeure partie des habitants dudit lieu », dès le 15 février 1790. Sa composition est remarquable en tous points.

D'abord ce conseil ne rompra pas avec la tradition, comme on aurait pu le penser après les événements survenus à Paris le 14 juillet et les mois suivants. Les gens en qui les Carmagnols avaient confiance, sans doute reconnus pour leur honnêteté et leur dévouement, gardent leur confiance. C'est ainsi que les consuls nommés le 10 mai 1789 par Monsieur le comte François Savary de Mauléon-Narbonne de Nébias, seigneur du lieu, Michel Delonca, premier consul et François Bedos, deuxième consul, rentrent dans la municipalité l'un comme officier public, l'autre comme maire. François Bedos est donc le premier maire de Caramany et il est, tout comme son compatriote Delonca, analphabète.2

Ensuite, certainement conscients que les relations administratives seront plus nombreuses entre l'échelon municipal et les structures de l’État en l'occurrence, le district et le département et qu'il faudra tenir des registres, les Carmagnols placent au Conseil, des personnes instruites. Le bureau exécutif composé de trois personnes, maire et deux officiers, est complété par Jean Gély qui sait signer d'une écriture un peu hésitante. Au bureau, il faut adjoindre six notables. Trois signeront d'une croix, Thomas Barilles, Martin Calvet, Jean Rolland mais trois sont des lettrés Jean-Baptiste Chauvet, négociant, Jean-Pierre Barrière, tailleur d'habits et fils d'un ancien consul, et Jean Damien Montferrand, curé.

Cette dernière nomination est un peu surprenante quand on connaît le caractère anticlérical des premiers révolutionnaires. On peut y voir chez les Carmagnols la volonté de ne pas se couper de l’Église mais au contraire de rassembler la communauté autour de cette nouvelle organisation.

Enfin, l'Assemblée doit élire un procureur et le Conseil nommer un secrétaire greffier. Ces rôles stratégiques seront dévolus à Cyr Vaysse, chirurgien du village qui pour se mettre en conformité avec la législation va prendre le titre d’officier de santé, et à Joseph Grand dont nous avons fait connaissance dans le chapitre précédent.

Ce premier Conseil général ne rompt pas avec la tradition, ni avec l’Église, du moins pas encore, tout en se mettant en conformité avec les directives de l'assemblée Constituante. Les hommes représentatifs restent représentatifs mais il faut noter l'absence totale de paysans, toutes les personnes choisies appartenant aux intellectuels, aux commerçants et artisans. Seule la profession de Martin Calvet n'est pas connue mais il est issu d'une famille de maçons. Thomas Barilles est maçon et Jean Rolland marchand d'huile.

Les nouveaux élus et l'écriture.

Dès 1791, Dominique Richard succède à François Bedos. Cultivateur de son état, il est lui aussi analphabète et sera donc épaulé par le secrétaire Joseph Grand, qui n'en a que plus d'importance, et la famille Chauvet. D'ailleurs, après les deux ans de mandat comme prévu dans le décret du 14 décembre 1789 relatif à la constitution des municipalités3, c'est Charles Chauvet fils, c’est-à-dire dire le fils de Jean-Baptiste, l'arrière petit-fils de Jean-François, le chirurgien, qui prend le relais.

Charles Chauvet, troisième maire de Caramany, est aussi le premier que l'on peut qualifier de lettré et même de cultivé grâce à ses origines familiales. Son écriture parfaitement lisible, très maîtrisé avec de magnifiques majuscules dignes des instituteurs de la République en atteste. Il a pu dès son plus jeune âge bénéficier de la bibliothèque de son père qui comportait les œuvres en vogue de l'époque et forger son esprit critique à la lecture des journaux du temps car la famille Chauvet était même abonnée à un journal, le Courrier d'Avignon.4

A partir de 1793, tous les maires de Caramany seront capables de signer, certains comme les Chauvet, Charles, puis Louis son fils, ou Cyr Vaysse étant en capacité de rédiger les actes en l'absence du secrétaire. Il y aura toutefois deux exceptions: Jean Sabineu, maire de 1836 à 1838 et Charles Estève maire de 1850 à 1852. Durant leurs brefs mandats, le secrétaire inscrivait au bas des actes « Pour le Maire illettré » et ce sont les adjoints, Pierre Rolland pour le premier et Louis Vaysse pour le second, qui signaient.

1700-1800 Où en sommes nous un siècle après ?

C'est indéniable. En 1800 encore, la quasi totalité de la population carmagnole composée essentiellement de gens de la terre est analphabète. Mais l'instruction a quand même progressé grâce à l'arrivée, comme nous l'avons vu, de personnes de l’extérieur, mais aussi et il faut peut-être y voir un petit résultat du travail des régents, dans le milieu des commerçants et des artisans.

Dans ce domaine là, la famille Chauvet tient le haut du pavé avec un très haut niveau de culture pour l'époque. Il faut citer le père Jean-Baptiste, le fils Charles, maire, sa femme demoiselle Éléonore Lapasset et leurs enfants. Il faut leur adjoindre Valentin Matschnigg qualifié de bourgeois, qui a épousé Jeanne Chauvet.

Le curé Montferrand maîtrise bien l'art de l'écriture et a semble t-il initié ses neveux, Antoine et Jean qui sera maire de 1826 à 1830 et de 1843 à 1846. C'est aussi le cas de la famille Vaysse qui a détenu sur deux générations la fonction de chirurgien et qui comprend en 1800, Cyr officier de santé et maire plusieurs années et François, cultivateur, ce qui est à remarquer.

La municipalité comme l’église peuvent compter sur le dévouement de Jean-Pierre Barrière, le tailleur d'habits dont la signature est présente sur de nombreuses pages. Son fils Bernard, né en 1796 sera maire de 1834 à 1838.

Enfin et c'est peut-être ce qui diffère le plus de 1700, plusieurs Carmagnols tiennent à apposer leur griffe au bas des actes mais il est difficile de se prononcer sur leur niveau d'instruction : savent-ils uniquement signer ou sont-ils allés plus loin dans les apprentissages ?

On peut citer Jean Gély dit Conté ou Comté, Jean-Pierre Bedos dit Moyse, Pierre Rogé, Jean-Pierre Estèbe, maçon, François Ribot, tisserand, Pierre Sali dit Rebaute, brassier, la famille Fourcade, Dominique, Sébastien et Gabriel et la famille Calvet, Pierre et Jean.

Le long cheminement de l'école publique

Conscients de l'intérêt pour la Nation d'avoir des citoyens instruits, les réformateurs de la Révolution légifèrent à plusieurs reprises pour développer l'instruction publique. Les textes restent de principe car très peu sont suivis d'effet. Le 28 ventôse an II (18 mars 1794), le procureur du district demande aux municipalités de se conformer à la loi sur la gratuité de l'instruction à charge de l’État, mais celle de Caramany répond tout simplement qu'elle n'a pas d'instituteur.

Il faudra attendre le 28 juin 1833 et la loi Guizot pour que les choses bougent un peu plus. Durant cet intervalle, Caramany ne semble pas être le plus mauvais élève de la classe, si l'on peut dire, pour au moins deux raisons. La première est qu'un procès verbal de visite scolaire du 1 thermidor an VI (19 juillet 1798) nous apprend qu'il n'existe dans tout le canton de Latour, qu'un instituteur particulier à Caramany et qu'une institutrice particulière pour les enfants des deux sexes à Caramany. Cela s'explique peut-être par l'action du maire Charles Chauvet qui répond positivement aux sollicitations de l'administration départementale d’autant plus facilement qu'il est persuadé lui même des bienfaits futurs de l'instruction. Ayant fait le constat « qu'il y a dans la commune beaucoup de jeunesse qui reste dans l'ignorance », il propose, dès 1793, au Conseil de se mettre à la recherche d'un régent « pour veiller à son éducation ». Apparemment, il n'en avait pas encore trouvé en 1794.5

La deuxième raison c'est que deux instituteurs, c'est bien le terme employé, sont mentionnés dans les registres, mais à une seule reprise. Compte tenu de la situation précaire dans laquelle vivaient ces premières éducateurs, de l'absence de salle de classe et de matériel, de la difficulté d' être soumis aux directives du Maire et du curé, il est difficile de dire s'ils ont pu exercer leur art un certains temps ou tout à fait sporadiquement. Il s'agit de Louis Destrem en 1816 et Antoine Bo en 1826.

Le 28 juin 1833, la loi Guizot stipule que toute commune de plus de 300 habitants, ce qui est le cas de Caramany, est tenue d'entretenir au moins une école primaire élémentaire et un instituteur. La municipalité présidée par Bernard Barrière donne immédiatement suite à cette obligation légale. Par délibération en date du 10 février 1834, le Conseil municipal présente au comité d'arrondissement le sieur Auguste Azaïs, à l'effet d'être nommé instituteur communal. Ce dernier est originaire d'Arques, canton de Couiza et possède tous les certificats nécessaires. Cette délibération a pour but de régulariser la situation puisque Auguste Azaïs, à peine âgé de 22 ans était déjà en poste l'année précédente. Il fera pratiquement toute sa carrière à Caramany avec une interruption due à des démélés avec le Maire et le curé.

A son arrivée, il faut quand même constater qu'en quarante ans, l'instruction a progressé. Sur les neuf paraphes qui suivent la délibération proposant sa candidature, il n'y a que deux marques, celles de Jean Sabineu et celle de Raymond Foussat et sept signatures bien affirmées : Jean Bedos, Joseph Vignaud, Paul Saly Rebotte, Paul Saly Laforgue, Pierre Gateu et bien sûr le Maire Bernard Barrière.

Et arriva Jules Ferry :

Il faut attendre presque un demi siècle pour voir arriver les textes fondateurs de l'école que nous avons connue ; ce sont la loi du 16 juin 1881 sur la gratuité absolue de l'enseignement primaire dans les écoles publiques et celle du 28 mars 1882 qui rend l'enseignement primaire obligatoire.

Ces lois en créant un corps d'instituteurs fonctionnaires d’État ont permis aux enfants des classes sociales les moins aisées de connaître l'école. Mais même à Caramany, elles ne sont pas arrivées sur un terrain inculte. Quelques enfants suivaient des cours avant la Révolution et la classe des garçons existait avant la loi Guizot. En 1846, selon les dires d'Auguste Azaïs, 2/3 des enfants soit 25 sur 38, allaient à l'école. De plus, l'école de garçons avait été construite dans les années 1863 et 1864 suivie quelques années plus tard, en 1879 et 1880 de l'école de filles.

En 1880, beaucoup d'hommes avaient été scolarisés de même que certaines jeunes filles puisque la classe des filles dirigée par une institutrice existait avant la construction d'un bâtiment dédié. Depuis 1877 environ, à la fin des délibérations du Conseil municipal, le secrétaire n'ajoute plus après l'expression « et ont signé les membres présents » la phrase « à l'exception des illettrés qui ont déclaré ne savoir » , formule qui nous rappelle les registres paroissiaux de l'ancien régime.

Sans perdre de temps la municipalité crée la première commission scolaire le 7 mai 1882. Elle doit comprendre désormais quatre élus, si possible convaincus des bienfaits de l'instruction publique. Ce n'est plus une commission de surveillance de l'instituteur comme auparavant et le curé en est exclu.

Au tournant du siècle, alors que Caramany compte 504 habitants, c'est déjà une génération complète qui a usé ses pantalons sur les bancs de notre école .

Sur les 19 Poilus Morts pour la France, natifs de Caramany, le registre matricule porte dans la case degré d'instruction, pour un seul la mention 0 qui signifie "ne sait lire ni écrire", pour 6 d'entre eux la mention 2 "sait lire et écrire" et pour 12 autres la mention 3 "possède une instruction primaire plus développée".

C'est bien la preuve du développement de l'instruction et de la qualité de l'enseignement transmis par ceux que l'on a appelé les hussards de la République. Entre leurs mains, l'école publique de Caramany conservera ses deux classes jusqu'en 1960, mais cela est une autre histoire.

 

Notes :

  1.  Conseil général de la commune comme conseil général du département, c'est l'appellation choisie au départ par la Constituante ; elle se transformera assez vite en conseil municipal.
  2.  Relire dans la rubrique Histoire, 1790 De consul à officier municipal – 2010
  3.  Article XLIII : Le Maire restera en exercice pendant deux ans...
  4.  C'est un journal publié de 1733 à 1793 à partir de l'enclave pontificale d'Avignon. Il échappe au contrôle de la presse en France, tout en s'assurant une large diffusion grâce à un prix moins élevé que celui des autres gazettes étrangères. De nombreux exemplaires avaient été conservés dans le grenier de la maison Chauvet, mais ils ont été brûlés autour des années 1970. D'autre part, un des livres de la bibliothèque Chauvet a été conservé précieusement dans la famille Ribes. Sur la page de garde la mention « appartenant à Jean-Baptiste Chauvet » est toujours bien lisible.
  5.  Relire dans la rubrique Histoire, Les années en 3, de 1793 à 1883 - 2013

Sources :

  • registres paroissiaux - Archives départementales des PO, consultables en mode numérique
  • registres d'état-civil- Archives départementales des PO, consultables en mode numérique
  • registres matricule - Archives départementales des PO, consultables en mode numérique
  • D'Ille et d'ailleurs n°2 Avril 1986
  • SASL 1895 volume 36- L’enseignement élémentaire en Roussillon par MM Philippe Toreilles et Emile Desplanque.
  • Wikipédia pour les informations sur le Courrier d'Avignon

Mes remerciements à Madame Solange Dabat et à Monsieur Jean-François Daudigny qui m'ont permis de tenir en mains un des ouvrages de la bibliothèque de Jean-Baptiste Chauvet et des exemplaires du Courrier d'Avignon.

Photos:

miniature: la belle signature de Louis Chauvet, plusieurs fois maire.

1: le premier "Conseil général" en 1791

2: l'écriture et la signature de Charles Chauvet ainsi que le Conseil en 1794.

3: un exemplaire du Courrier d'Avignon

4: le Conseil municipal en 1825

5: le Conseil municipal en 1913 à l'aube de la guerre 14-18.