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Les chandeliers de la cathédrale

Ce texte pourrait aussi s’intituler : « Comment l’histoire de Caramany rencontre la grande Histoire des royaumes de France, d’Aragon, de Majorque et d’Espagne ! »

Cathédrale de PerpignanSaviez vous que la cathédrale Saint Jean-Baptiste de Perpignan abrite quatre chandeliers en bronze et fer forgé portant les armoiries de la famille de Caramany-Requesens ?
Ils ont fait l’objet d’un classement auprès des monuments historiques en 1992. Voici leur description :D’une hauteur de 1,60 m, leur socle est fait de trois pieds décorés de volutes**, et de feuilles d’acanthe, leur tige est en forme de balustre**, ornée de godrons**.
Leur datation situe leur fabrication en 1672 ou 1675.
Ils portent des armoiries décrites selon la tradition héraldique, (la science des écussons) : écartelé, au 1 et 4 losangé d’or et de sable, au 2 et 3 d’or au losange de gueules.
Le losangé d’or (jaune) et de sable (noir) étant les armes des Requesens, une famille noble de L’Ampourdan en Catalogne, et l’or au losange de gueules (rouge) étant celles de la famille de Caramany, installée en Ampourdan également. (voir, ci-dessous, détail du blason moulé dans le bronze de la base des chandeliers)
Blason Caramany-RequesensUne tradition existait à la cathédrale Saint Jean (difficile de dire jusqu’à quand elle a perduré), selon laquelle la famille Sire de Vilar, héritière du château de Corbère fournissait chaque année huit gros cierges, destinés à brûler sur ces quatre chandeliers pour les "40 heures" et pour le jeudi saint devant le reposoir.

Dans la Liturgie catholique, les prières de "quarante heures" sont des prières expiatoires que l’on fait devant le Saint Sacrement, le dimanche, lundi et mardi gras. Nous avons retrouvé dans un livre ancien publié à Amsterdam en 1723 et intitulé : « Cérémonies et coutumes religieuses », par Bernard Picard (1673-1733), des informations sur le déroulement de ces prières, dont voici un extrait: « La prière de quarante heures, pendant laquelle le Saint Sacrement reste exposé sur l’Autel, a été instituée, ou pour mieux dire renouvelée par les Papes Pie IV (1559 à1565) et Clément VIII (1424 à1429). Cette prière est précédée et suivie d’une procession. Pendant que le vénérable est exposé sur l’Autel, deux clercs assistants doivent prier continuellement devant lui jusqu’à ce qu’ils soient relevés par d’autres, ce qui continue ainsi jusqu’à la fin des 40 heures. Pour rendre la dévotion plus solennelle , le peuple doit assister à cette prière : chaque famille doit donner une heure à cet acte de piété. Quand l’heure va s’écouler un des assistants sonne une clochette pour avertir le sonneur que l’heure s’achève, et celui-ci sonne la cloche pour appeler d’autres fidèles à la prière»

Tout cela paraît bien mystérieux et bien éloigné de notre village… et pourtant tout s’éclaire si nous essayons de remonter le cours de l’histoire.

La famille Sire de Vilar avait hérité de la seigneurie de Corbère par alliance avec la famille Dubois de Boisambert. Or en 1680, Clément Dubois de Boisambert, vicomte Du Plessis-Gatebled, qui occupait en Roussillon une place remarquable puisqu’il était lieutenant-général du roi (Louis XIV) avait épousé en la cathédrale saint Jean-Baptiste Theresa de Caramany i Junyent*. Cette demoiselle de la noblesse catalane était la fille de Theresa de Junyent i de Marimont et de Joseph de Caramany i Almar, mariés à Barcelone en 1649.
Arrêtons-nous un moment sur ce Joseph de Caramany i Almar. Il était seigneur des baronnies de Peramola, Estach, Peracolls dans la province de Lleida et portait donc le titre de baron. Les textes espagnols ne le citent qu’en faisant précéder son nom de la particule Don : Don Jose de Caramany y Almar.
Il était homme de guerre et servit d’abord comme capitaine de cavalerie dans le bataillon de Catalogne. Il possédait de magnifiques haras à Sant Pere Pescador, toujours en Ampourdan. C’était donc un seigneur catalan issu des plus grandes familles de la noblesse ampourdanaise.
Mais les documents qui le mentionnent font état de son rôle considérable pendant les guerres du XVIIème siècle entre les royaumes de France et d’Espagne, en soulignant qu’il soutint avec énergie le parti français. Les hostilités franco- espagnoles qui débutèrent en 1635 entrainèrent l’occupation par Louis XIII du Roussillon et de la Catalogne.

drapeaux.jpgEn révolte contre le roi d’Espagne Philippe IV, les Catalans se placent, le 23 janvier 1641, sous l’autorité du roi de France qui prend le titre de comte de Barcelone. Joseph de Caramany i Almar fut de ceux qui se rallièrent aux Français dont il sut attirer la confiance. Après la chute du siège de Barcelone, les Français se retirent. Les terres de Joseph de Caramany i Almar lui sont confisquées et il doit s’exiler à Perpignan. Pour le récompenser, Louis XIV lui octroya dans les années 1652-1654 la seigneurie de Corbère.
Puis, lorsque le cardinal Mazarin, premier ministre, décida de créer par commission du 26 mai 1657 un régiment composé de Catalans qu’il baptisa du nom de Royal Mazarin c’est Joseph de Caramany i Almar qui en devint le mestre de camp (ou colonel). Ce régiment devint par la suite le Royal Catalan en 1661 (mort de Mazarin) puis le Royal Roussillon.
Joseph de Caramany i Almar porta aussi, certainement un peu plus tard, le titre de brigadier général des troupes royales.
En 1666, le gouvernement français fit même l’acquisition de ses haras qu’il transporta en Roussillon. A cette époque là, par le traité des Pyrénées en 1659, les terres du Roussillon, du Conflent de la Cerdagne et du Capcir avaient été définitivement rattachées au royaume de France.

chandelier en bronzeJoseph de Caramany i Almar semble très attaché à la cathédrale Saint Jean. A sa mort, survenue le 4 janvier 1672, dans l’établissement thermal de Bourbon – l’Archambault (Allier), "son cœur enveloppé dans une boîte d’argent fut transporté par l’aumônier militaire du régiment, Casadevall, en Roussillon et remis au clergé de saint Jean de Perpignan, le 5 février, à la charge de l’inhumer d’après les indications des exécuteurs testamentaires". Son épouse dona Theresa fut ensevelie dans la cathédrale, le 25 août 1706.

Il est donc probable que les quatre chandeliers furent un legs testamentaire du défunt à la cathédrale, d’où leur datation 1672/1675.

Lors de nos investigations pour retrouver ces chandeliers (actuellement entreposés à l’abri du public, en raison d’importants travaux de restauration en cours), Madame Marie-France Nuixa, sacristine de la cathédrale Saint Jean-Baptiste de Perpignan, nous a fait remarquer que ces derniers étaient toujours en usage, positionnés de part et d’autre du chœur, lors des célébrations religieuses.

Il nous reste maintenait à comprendre comment un seigneur portant le nom de Caramany se trouvait en Ampourdan, de l’autre côté des Pyrénées.

Et c’est là qu’interviennent un autre roi Saint Louis ou Louis IX et un autre traité, celui de Corbeil en 1258. Après les dramatiques événements baptisés au départ "croisades contre les Albigeois", Saint Louis avait récupéré pour la couronne l’ensemble des terres des grands seigneurs du sud de la France, comté de Toulouse, vicomté de Béziers-Carcassonne. Par ce traité avec le roi Jacques 1er d’Aragon, il fait des Corbières la frontière entre les deux états, annexant même au royaume la vicomté de Fenouillèdes.

Au début du 14ème siècle, les Caramany détenaient toujours leur fief mais ne résidaient plus dans leur château. Il est très probable que, vassaux de la famille vicomtale de Fenouillet qui avait pris parti pour la noblesse occitane et donc contre les français du Nord, ils se soient, comme leur suzerain, réfugiés en Roussillon pour rester dans le royaume d’Aragon puis, lors de sa création en 1276, dans celui de Majorque.


Illa CaramanyCe qui est sûr c’est que, quelques années plus tard, l’un des descendants d’Hugues de Caramany, premier seigneur mentionné sur un document en 1242, Poncet de Caramany (Poncet signifie petit Pons) a épousé en 1310 Léonor de Requesens , fille de seigneurs ampourdanais possédant des terres à Pélacals, Ventello et sur les rives du rio Fluvia aux abords de Sant Pere Pescador.

Poncet de Caramany a fait souche en Ampourdan où le nom de famille a perduré jusqu’en 1860, et Joseph de Caramany i Almar est un de ses descendants.

Voilà comment la présence des quatre chandeliers de la cathédrale rejoint l’histoire de la famille de Caramany dont la traversée des Pyrénées dans un sens, puis dans l’autre est la conséquence de deux événements majeurs pour l’établissement de la frontière sud de la France, les traités de Corbeil (1258) puis des Pyrénées (1659).

Remerciement: Les images du chandelier ont été réalisées grâce à l’aimable autorisation de M. Jean-Luc Antoniazzi, responsable de l’art sacré du diocèse de Perpignan.

Sources:

  • Dictionnaire de Biographies Roussillonnaises Abbé Jean Capeille
  • La casa de Caramany par P Negre Pastell.


Remarques:

- Les nobles en Catalogne et en Espagne possèdent deux patronymes. On retient en principe, mais ce n’est pas toujours le cas en particulier pour la descendance des Caramany, le 1er nom du père et le premier nom de la mère.
- Le i (i de Almar par exemple) correspond à l’orthographe catalane, en espagnol c’est le y.
- Joseph devait être Josep en catalan et Jose en espagnol.
Les noms de lieu respectent l’orthographe catalane sauf l’Ampourdan : Empordà en catalan, Ampurdan en espagnol.


volutes.jpggodrons.jpg
** Vocabulaire:
Les volutes sont des motifs d’ornementation constitués par un enroulement en forme de spirales.
Un balustre est une colonnette ou tige de forme renflée.
Un godron est un motif d’ornementation en forme de moulure ovale creuse ou saillante.

Photographies des chandeliers et recherches liturgiques: Philippe Garcelon