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Maladies, accidents, tragédies n'épargnaient pas nos ancêtres

 Des siècles passés, romans et films évoquent surtout la vie, en leurs terres et châteaux de nos rois, princes et autres membres éminents de la noblesse. Peu nous font revivre la vie difficile de nos ancêtres, ces « pauvre Martin » comme les ont appelés Georges Brassens et Jean Ferrat1.

Dans leur grande majorité paysans, ils ont laissé peu de traces patrimoniales ou documentaires, et ce, d'autant plus que jusqu'à la fin du XIX ème siècle, ils étaient analphabètes.

 Des conditions de vie difficiles : 

Mais, grâce aux détails retranscrits dans les registres paroissiaux par certains curés qui dépassaient parfois le cadre strict de l'acte qu'ils rédigeaient, nous pouvons avoir une idée des difficultés qu'ils pouvaient rencontrer.

Sant GaldricIl leur fallait d'abord passer le redoutable cap de l'enfance car la mortalité infantile faisait des ravages. Prenons un seul exemple : la double page qui porte le numéro 35 sur l'un des premiers registres de Caramany, ne comporte que des baptêmes, dont les actes ont été rédigés par le curé Charles Fabre, du mois d'août 1702 au mois de février 1703. Sur les 13 naissances répertoriées, il a ajouté sur 8 d'entre elles la mention mort(e) dans les mois ou années qui ont suivi. Les disparitions en bas-âge pouvaient donc représenter plus de la moitié des naissances2.

Une fois rescapés, ils devaient faire face dans leur vie d'adulte à des événements que nous avons aujourd'hui tendance à oublier, mais que la nature, en cette année 2020 particulièrement difficile, semble prendre un malin plaisir à nous rappeler : les épidémies et les famines souvent dues aux événements climatiques.

De 1655 à 1691, années qui correspondent au premier registre paroissial tenu par le recteur Guillaume Lafille, on a relevé en France (sans préciser si toutes les provinces étaient touchées) une épidémie de peste en 1670, des hivers glaciaux en 1655, 1657, 1659, 1662, 1676 et des étés caniculaires en 1662, 1666, 1676 et 1684.

Des événements plus ciblés qui ont à priori concerné directement Caramany, ont également laissé des traces dans les archives :

- la canicule dans le Midi, du 17 juillet au 30 août 1705, qui, à Montpellier, a cassé les thermomètres.

- le froid excessif de l'hiver 1708 qui a gelé les rivières et fait périr les oliviers, les châtaigniers, les noyers et les vignes. L'année suivante, la province du Languedoc a été totalement privée de blé. Le froid puis la faim ont entraîné de nombreux décès.

- l'inondation du 8 au 19 novembre 1716 en Roussillon et dans les Corbières qui a endommagé les ponts de Perpignan.

- le terrible orage de grêle du 1 juin 1727 qui s'est étendu sur la région comprise entre les Pyrénées, les Corbières, les hautes Cévennes et la Montagne noire, avec pour résultats les récoltes emportées, les foins ensablés et les vignes ravagées.

- l'Aiguat de Sant Galdric sur le Roussillon, les 16 et 17 octobre 1763,

- l'Aiguat de Sant Bartomeu, toujours en Roussillon, le 24 août 1842.

Et la liste est loin d'être complète. Mais comme si cela ne suffisait pas, ce petit peuple était aussi confronté aux accidents et aux violences physiques. Ce sont quelques uns de ces drames vécus à Caramany et dans les villages limitrophes que je veux évoquer. Ils sont certes d'ordre familial mais nul doute qu'ils ont dû marquer la mémoire du village dans lequel ils se sont déroulés. 

Morts de froid ou de misère 

moulin à eau de MontalbaL'hiver 1746 fait aussi partie des hivers rudes. Le 21 mars, Marie Oulive (Olive), veuve, part de Bélesta pour moudre son grain au moulin de Montalba. Elle est retrouvée morte le lendemain « près de la croix de Mataly à cause du grand froid et neige qui tombait ».

Les hivers plus rigoureux qu'aujourd'hui étaient éprouvants pour des populations vivant dans des habitations peu calfeutrées et peu chauffées, Que dire alors de ceux qui mendiaient leur pain de village en village ?

Le 13 décembre 1711, le curé d' Ansignan note le décès de François Fauré, 14 ans, « fils de Ramond Fauré, mendiant, et Marie Vielle, de la paroisse de Saint-Lizier d'Uston, diocèse de Couserans3, mort au paillé de la dame d'Ansignan... ».

Bizarrement, 57 ans plus tard, son confrère, le curé Delbès sera confronté au même problème : le 15 septembre 1768, il devra inhumer un certain Isidore Fauré, mendiant, âgé de 50 ans, mais lui originaire de Formiguères.

Le 6 février 1761, au terroir de Caladroy, fut trouvé le cadavre d'un homme inconnu. Alerté le curé de Bélesta donne de nombreux détails dans l'acte d'inhumation. « La veille, les valets de Monsieur Coronnat (seigneur de Caladroy) voulaient à toutes forces le mettre à couvert alors qu'il était tard. Il refusa. Il était de la ville d'Ille en Roussillon et on l'appelait Joseph Champagne, le dit défunt âgé de 50 à 55 ans ».

A Caramany, le curé Chaluleau4 signale lui aussi des mendiants : en cette année 1694 si difficile car règne un épidémie de typhoïde causée par la disette de 1693, il inhume le 29 juillet « Étienne Cuxac, âgé de 72 ans du lieu de Roquefort, passant par icy et demandant l'aumône. »

Le 17 août, il dit avoir enseveli Jean Garry de Massat proche de Tarascon passant malades avec sa femme et un enfant d'environ deux ans, mort lui aussi.

Un siècle plus tard, les paillers, nombreux dans les villages font toujours office de refuge. Le 14 janvier 1793, Sébastien Fourcade meunier et Jean Bedos cultivateur, tous deux de Caramany, servent de témoins pour la rédaction par l'officier d’état-civil de l'acte de décès « d'un pauvre étranger mort et inconnu trouvé dans un pailler, sans aucun signe violent », ce qui sous entend que la mort est naturelle.5

Des décès par accident : 

Certains accidents, comme les chutes, peuvent être qualifiés de la vie courante, d'autres sont plus exceptionnels.

Le 30 juin 1731, à Rasiguères, Paul Malet, 40 ans, tombe d'un cerisier. Il ne meurt pas sur le coup puisque le curé Mately a le temps de lui administrer les derniers sacrements.

Le 18 juin 1747, Jeanne Lacour, épouse de Jacques Massé, pasteur de Caladroy, n'a pas "cette chance". Victime d'une chute, elle décède avant l'arrivée du curé Cabanel. Celui précise qu'il a pu l'inhumer dans le saint cimetière car « n'ayant pu être à temps pour l'absolution mais étant d'ailleurs une femme bien réglée (il faut sûrement comprendre en règle) et exacte aux devoirs d'un Chrétien ».

Toujours à Bélesta, le 15 février 1756, Jean Chambeu, dit Cardel, du lieu de Montfort, doit être inhumé « n'ayant pu être confessé à cause qu'il perdit la connaissance des sens occasionné par une chute aux degrés de Pasquié dit Moyse ».

Là encore, Caramany n'est pas épargné :

Le 9 février 1695, le jeune François Bertrand tombe « du pont de nafiach (Néfiach) dans l'eau et enfin il mourut ». Le curé Chaluleau peut l'enterrer quatre jours après. Il prend bien soin de préciser qu'il avait fait sa première communion huit jours avant sa mort.

L'année suivante, c'est d'une simple noyade, si l'on peut dire, que périrent trois jeunes Carmagnols âgés d'environ 22 ans. Partis se rafraîchir dans l'Agly, c'est du moins ce que l'on peut penser puisqu'on était en plein mois d’août, les trois amis ne remonteront pas au village. Ils se nommaient Pierre Jasse, Jean Pierre Fauré et Jean Gély.

les remparts du châteauLes trois accidents suivants sont beaucoup plus rares. Le deuxième est en lien direct avec un incident climatique. Cela reste une hypothèse pour le premier.

En 1707, Jean Pierre Seguié et Anne Delonca, mari et femme, sont chez eux, à Caramany, lorsque, le 17 janvier, la muraille du château s'effondre sur leur maison. Ils sont ensevelis sous les décombres. Charles Fabre, recteur de la paroisse mentionnera dans son acte de décès qu'ils ont « été assommés par la ruine de la muraille du château et de leur maison ». Impuissante devant un tel drame, la communauté villageoise procédera à leur inhumation le 19 janvier.

Le 19 décembre 1777, le curé d'Ansignan doit inhumer Louis Boucabeille. Son récit nous rappelle, lui aussi, des événements douloureux survenus en cette année 2020. « Voiturier du lieu de Fontanès, âgé d'environ 35 ans, décédé trois jours auparavant, il a été submergé par les eaux qui l'ont porté dans ma paroisse, ce qui a été occasionné ainsi qu'il nous a été dit par des personnes dignes de foy par la chute d'un pont près de Lavaignac. 6»

Le 17 septembre 1684, dans le petit hameau de Cuxous, dépendant de la paroisse de Cassagnes, la famille de Jean Gousi, le baile, se couche pour la nuit. Un incendie se déclenche et c'est le drame. La famille n'a pas le temps de sauver tous ses enfants. Jean âgé de dix ans moins quelques mois et Pierre, âgé de dix ans et deux ou trois mois sont brûlés dans leur lit, « le feu s'étant mis dans leur chambre ». Le curé qui se nomme également Gousi précise qu'il a enterré dans le cimetière de Cuxous « les os et cher brulle de deux petits enfants ». 

Des décès par violences physiques 

La vie rurale n'était pas exempte de violence. Pour Jean Fauré âgé d'environ 20 ans, décédé le 10 avril 1693 après ce que nous appellerions maintenant un passage à tabac, Jean Chaluleau trouve des arguments remarquables. Jugez en plutôt : « n'ayant pu luy donner les sacrements d'autant que sa maladie estait de quelques coups qu'on luy avait donnez, luy estant Innocent et ne comprenant point le mal. J'espérais y estre a temps mais le bon dieu ne l'a pas permis. A esté ensevely par moy curé, dans le cimetière de la paroisse le onzième du même mois. »

La violence pouvait aussi prendre la forme d'un assassinat ou d'un règlement de comptes avec utilisation d'arme à feu. Comment appeler autrement le décès de Jean Antoine Massé en 1676. Ce père de famille de Cassagnes, âgé de 52 ans, brassier de son état, a été retrouvé mort, le 1 janvier, « assassiné environ ... d'un coup de fusil dans la figure, sur la division des terroirs de Cassagnes et de Bélesta, au lieu dit roques planes. » Le curé Vézian employant le terme d’assassiné, cela exclut l'accident de chasse. Une bien mauvaise façon de commencer l'année pour la famille Massé et la communauté de Cassagnes. 

Les décès mystérieux : 

Les registres paroissiaux comme d'état-civil ne sont pas destinés à lever nos doutes sur certains décès, un peu étranges ; les curés, toujours soucieux de pouvoir inhumer leurs ouailles dans l'enceinte sacré du cimetière, tout comme plus tard les officiers d'état-civil, n'ont pas à se substituer aux éventuelles enquêtes de police. Certains actes rédigés de manière non conventionnelle attirent quand même notre attention.

Le 25 novembre 1752, le recteur de Bélesta indique que « Jean Crabié de Cassagnes, restant chez Jean Pasquié dit Moyse pour pasteur, a été trouvé mort dans le grenier à paille (sous-entendu de son employeur) et sans secours » . Cette expression n'est jamais employée dans les actes, y compris dans ceux du curé Cabanel, auteur de celui-ci. Si l'on remarque qu’il n'est fait référence à aucune maladie et que le défunt était dans la force de l'âge, 18 ans, on aimerait en savoir plus sur ce décès. A noter que c'est sur les degrés de ce même Pasquié qu'est décédé un autre "étranger" quatre ans plus tard. (voir ci-dessus le paragraphe Des décès par accident)

le hameau de CuxousQu'a t-il bien pu se passer à Caramany, le 17 juillet 1873 ? Comme en 1707, il y a eu deux décès le même jour, dans la même maison, mais cette fois-ci, il s'agit du père, 78 ans, et du fils, 53 ans. Contrairement au curé Fabre qui nous avait éclairé sur la cause du double décès du couple Seguié/Delonca, le maire en fonction en 1873 a rédigé deux actes complètement séparés et tout à fait conformes au modèle officiel. L'acte n°18 indique qu'Antoine Bize, originaire de Sournia et veuf, est décédé dans la maison de son fils Jean-Baptiste, l'autre défunt dont l'acte qui porte le n° 19 est en tout point semblable au premier. Jean-Baptiste Bize est un un père de famille de six enfants, dont au moins quatre vivent encore au domicile familial. Aucune référence n'est faite à son épouse, Claire Delonca-Cathala ni à ses enfants. Étaient-ils absents de leur domicile au moment des décès ? Seule information donnée par le maire François Vaysse, les deux hommes sont décédés en même temps, à une heure du soir, ce qui réduit encore la probabilité d'une mort naturelle. Alors accident (effondrement, incendie) ou cause d'origine humaine ?

Petit détail anecdotique : peut-être trop préoccupé de donner de la véracité à ses deux actes, Monsieur le Maire indique que les présumés déclarants (la loi en imposait deux) qui sont Jean Vignaud, 30 ans et Joseph Barilles, 27 ans qualifiés de voisins du défunt sont comparus dans la maison commune à cinq heures du soir pour déclarer le décès d'Antoine et à six heures du soir pour celui de Jean Baptiste. Difficile de croire que des voisins constatant le décès, à une heure, du fils Bize et de son père attendent cinq heures pour déclarer le décès du père, signent l'acte et reviennent à six heures pour déclarer le décès du fils. Difficile de croire aussi que le Maire à son tour vient s'assurer d'un décès juste après cinq heures, repart écrire son acte puis vient après six heures s'assurer du second décès, suite à la deuxième comparution. Il se mélange d'ailleurs un peu les porte-plumes puisqu'il est écrit dans l'acte n°18, le premier, qu'Antoine Bize « est décédé dans la maison d'habitation, sise au dit Caramany de son fils Jean-Baptiste décédé à la même heure que lui », alors que d'après son minutage, il n'est pas encore censé savoir que Jean Baptiste Bize est décédé.

 

Chaque époque apporte à l'humanité son lot d'accidents, d'événements climatiques, d'épidémies, d'actes de violence voire de guerres. Mais la vie n'est pas faite que de cela ; nos « Pauvre Martin » carmagnols ont certainement connu aussi des joies simples et des événements heureux : la naissance d'un enfant en bonne santé, le mariage d'un fils ou d'une fille, le dernier jour d'une belle saison de moisson ou de vendange, les chants de la messe de Noël qui résonnent dans l'église Saint-Étienne, l'inauguration du clocher ou celle du Pont Rose, tous ces petits moments qui donnent une raison de vivre. 

Notes:

  1. Pauvre Martin de Georges Brassens (1953) et Bicentenaire de Jean Ferrat (1991)
  2. BMS 9NUM32EDT3_4 (1655-1737) Archives départementales en ligne
  3.  La commune actuelle d'Ustou en Ariège, sur la frontière avec l'Espagne comprend les villages de Saint-Lizier, Trein et Sérac. Le curé a écrit Uston, c'est la bonne orthographe occitane . Le "on" se prononçant [ou], Uston francisé est devenu Ustou.
  4. Relire dans cette même rubrique Anecdotes les actes singuliers du curé Chaluleau 2017
  5.  C'est un des tout premiers actes d'état-civil qui font suite au décret de l'assemblée législative du 20 septembre 1792 créant et confiant ce service aux municipalités. Le paradoxe à Caramany, c'est que ces actes sont signés par un certain Jean Montferrand qui ajoute sous sa signature officier public, mais qui n'est autre que le curé qui s'est fait désigner comme membre de la première municipalité. Il n'y restera pas longtemps.
  6.  Il ne peut s'agir que de Lavagnac, hameau de Puilaurens, traversé par la Boulzane dont les eaux rejoignent l'Agly à Saint-Paul de Fenouillet. 

Sources:

  • registres paroissiaux – Archives départementales en ligne - paroisses de Caramany, Ansignan, Bélesta, Cassagnes, Rasiguères.
  • Contexte, la vie quotidienne de vos ancêtres de l'an mil à nos jours - Languedoc Roussillon comté de Foix par Thierry Sabot, Editions Thisa.
  • Hérédis 2017 – Dictionnaire des faits historiques
  • La crue et l'Aiguat del 40 – Gérard Soutadé dans la réédition 2007 de La crue de Michel Maurette -publications de l'Olivier, Perpignan

Photos:

miniature: l'entrée du château de Caramany, mairie-service communication

1: Sant Galdric que les Catalans implorent pour faire pleuvoir mais aussi pour se protéger des inondations - site rodes.pagesperso-orange.fr

2: Le moulin de Montalba - Philippe Garcelon, le Pari du lac

3: Les murailles du château, côté Est - Anne-Marie Bonnisseau

4: Le hameau de Cuxous - wikipédia