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Un certain Bertran Caramañy

Un certain Bertran Caramany ou Bertran Caramañy 1

Ma première rencontre avec Bertran Caramañy s'est faite tout à fait par hasard en recherchant sur Internet des traces de Pons de Caramany, cité dans cette rubrique maintes et maintes fois.

Deux sites en espagnol2, ne relevant d'aucune structure officielle, puisque l'un est un blog privé et l'autre un site de vente d'armoiries brodées, font figurer dans leur index Caramany associé à Caramani ou Caramañ ou Caramañy; ils y présentent les armoiries d'un certain Bertran portant le patronyme de Caramañy et donnent ainsi l'impression de le rattacher à la famille des de Caramany (la particule a peut-être ici toute son importance).

Mais en fait-il vraiment partie, ce qui le rendrait "parent " d'Huguet ou de Pons de Caramany?

Que sait-on de Bertran Caramañy?:

Un document nous permet de faire sa connaissance : il s'agit d'une trobar3, c'est à dire une chanson en vers, qui porte le numéro 130 dans un recueil intitulé Les trobes de Mosen Jaume Febrer, caballer, avec comme sous titre, En que tracta dels llinatges de la conquista de la ciutat de Valencia4 (Voir ci-dessous)

Chanson de troubadour

Jaume Febrer est un chevalier de la noblesse valencienne. Son père Mosen Guillem Febrer était au service du roi d'Aragon et comte de Barcelone Jaume 1er5, et en tant qu'inspecteur général de son armée, avait été chargé par celui-ci de faire la liste exhaustive de tous les comtes, barons et chevaliers qui l'avaient suivi dans son entreprise de reprendre le royaume de Valence aux Maures afin de prévoir leur solde et les récompenses dues à leur mérite. Cette liste qui comportait 544 noms a du être rédigée aux alentours de 1238, année de capitulation de Valence. Ce n'est que bien plus tard, en 1276, d'après un religieux qui a étudié son œuvre, que Jaume Febrer reprenant les notes de son père a écrit un poème en vers, une trobar, pour chaque personnage.

Voici comment Charles de Tourtoulon6 traduit ce poème:

« En cette occasion, combattit vaillamment Bertran Caramañy, qui était compagnon de Jean Zaportella né comme lui à Montpellier. Le roi victorieux fut content de ses services, mais il retarda la récompense à cause de l'expédition de Valence. Pendant le siège, ce soldat fit des choses admirables. Le roi le complimenta en voyant les Maures fuir à son aspect. En entrant à Valence, il l'arma chevalier et lui donna (pour armoiries) un lion sur champ vert. »

Tout cela mérite quelques précisons historiques.

Revenons au début du XIIIème siècle, à un moment crucial pour les terres situées de part et d'autre des Pyrénées dont les destins vont cruellement se mêler.

Jacques le Conquérant:

Jacques le conquérantLe 2 février 1208, naît à Montpellier un garçon prénommé Jaume. Il ne sait pas encore qu'il va avoir un destin fabuleux. Il a pour mère Marie de Montpellier, seigneur de la ville du même nom et de quelques dépendances et pour père Pere II, roi d'Aragon et comte de Barcelone.

En 1209, déferle sur l'Occitanie, la croisade contre les Albigeois, autrement dit les cathares, prêchée par le pape Innocent III. L'armée croisée composée d'ecclésiastiques, de grands vassaux du roi de France et de mercenaires toujours prêts à se battre contre la promesse d'un butin massacre tous les habitants de Béziers , fait le siège de Carcassonne et capture, contrairement à toutes les lois de la chevalerie le vicomte Raimon Roger Trencavel. La vicomté de Carcassonne Béziers et Albi est alors confiée par les autorités religieuses à un petit seigneur du nord Simon de Montfort.

Or la vicomté de Carcassonne était vassale non du royaume de France mais pour une partie du comté de Barcelone, donc de Pere II qui a bien essayé, sans y arriver, de jouer un rôle de médiateur entre le légat du pape et le vicomte Trencavel.

Deux ans plus tard en 1211, Père II surnommé le Catholique, ne voulant pas s'opposer à une entreprise menée au nom du pape, en gage de paix confie son fils Jaume, alors âgé de trois ans, à Simon de Montfort pour recevoir une éducation de futur chevalier, comme cela se faisait couramment à cette époque. L'accord porte également sur le mariage futur de Jaume avec Amicie de Montfort, fille de Simon.

Mais en 1213, Pere II sollicité par son beau-frère, le comte de Toulouse Raimon VI et la noblesse occitane se voit contraint d'intervenir dans la croisade . Hélas il est tué à la tête de son armée et des troupes occitanes par les chevaliers croisés. Comme sa mère décède également la même année, Jaume se retrouve à la fois orphelin et roi. Réclamé par la noblesse catalane, il faut l'intervention du pape pour que Simon de Montfort le rende à son pays.

Après plusieurs années de régence, il prend enfin les rênes des deux grandes couronnes, Barcelone et Aragon.

En 1227, l'un de ses premiers grands actes politiques sera de décider de conquérir les îles Baléares alors aux mains des Sarrasins. Fort de son succès il s'attaquera ensuite au royaume de Valence et fera son entrée dans la ville le 9 octobre 1238. Il fera ensuite de même pour le royaume de Murcie d'où son surnom de Jaume el conqueridor, le conquérant

Existe-t-il un lien entre Caramany et Bertran?:

C'est donc d'après Jaume Febrer lors des batailles pour la prise de Valence que le roi remarque Bertran Caramañy et qu'il l'arme chevalier le jour même où il fait son entrée dans la ville.

On peut maintenant que nous le connaissons un peu mieux se poser la question de savoir s'il avait un lien avec Caramany. Je prendrai le risque de pencher pour une réponse négative.

C'est vrai qu'il est né à Montpellier, comme son roi mais ce n'est pas un argument déterminant.

Après tout, il y a bien des familles dont le patronyme Cabestany, Carcassonne, Perpignan et même Caillens montre qu'elles ont certainement une histoire en lien avec la bourgade du même nom, mais qui n'y habitent pas pour autant.

Ce sont d'autres éléments qui suscitent le doute. D'abord Jaume Febrer l'inscrit sous le nom de Bertran Caramañy sans particule. Or nous savons qu'à cette époque là, une famille seigneuriale qui porte le nom de de Caramany tient le fief du même nom pour le compte du vicomte de Fenouillet. Le seigneur en titre est presque certainement Huguet de Caramany qui apparaît sur des documents en 1242. Si Bertran était son parent, il s'appellerait Bertran de Caramany.

Ensuite en le nommant chevalier, le roi lui donne les armoiries suivantes; un lléo sur camp de vert7. S'il avait fait partie du lignage des de Caramany dont les armes étaient d'or au chef de gueules8, le roi aurait-il pu occulter complètement les propres armes de sa famille?

Le site "Libro de armoria" indique d'ailleurs que les blasons d'or au chef de gueules ont une origine catalane de Girona (il semble ne pas connaître Caramany en Fenouillèdes).

Blason de Bertran de CaramañyIl présente ensuite un écu de sinople , un léon rampante de plata avec une origine catalane de Montpellier selon l'armorial de A.G Carraffa et un écu de sinople , un léon rampante al natural attribué à Bertran de Caramany avec une origine catalane mais sans préciser de lieu, selon l'armorial de P. Mr Rigalt.

Il est fort possible que les deux armoriaux parlent du même écu. Dans le premier, l'appellation de catalane pour Montpellier s'explique puisqu'à l'époque cette ville était sous la domination du roi d'Aragon, comte de Barcelone; dans le deuxième, l'appellation Bertran de Caramany semble remettre en cause ce que j'ai dit plus haut mais le fait d'être armé chevalier entraînant l'appartenance à la noblesse P.Mr Rigalt a peut-être tout naturellement ajouté le de. De toute façon, je rappelle mon avertissement préliminaire, ces données sont à prendre avec précaution;

Enfin un autre détail est troublant: à la suite de sa traduction Charles de Tourtoulon prend la peine d'ajouter qu'il y a en Espagne une famille Caramany qui porte les armes d'or au chef de gueules, un peu comme si lui aussi se posait la question de savoir s'il faut rapprocher des armoiries si différentes.

Apparemment, ses recherches ne sont pas très poussées ; il connaît certes les Caramany catalans, la famille existait encore du côté de Gérone à son époque, mais ne connaît pas Caramany en France pourtant à l'origine de la lignée catalane.

La question reste posée mais qu'il soit un de nos concitoyens ou pas, Bertran Caramañy aura fait avancer nos connaissances... tout en sachant qu'il reste beaucoup à trouver.


Notes:

  1. Pour faire simple et éviter la manipulation répétitive des caractères spéciaux, j'ai choisi de l'écrire dans l'article avec l'orthographe francisée Bertran Caramany. J'ai par contre gardé les autres noms et prénoms dans la langue d'origine. Jaume pour Jacques, Pere pour Pierre, Raimon pour Raymond.
  2. Voir Sources
  3. trobar est un mot occitan signifiant poésie, à rattacher au mot trobador , qui se prononce troubadour et qui signifie en français poète ou troubadour. Le mot trobador existe aussi en catalan . Enfin en espagnol trova est une chanson de troubadour et trovar a comme sens faire des vers.
  4. Qui traite des lignages de la conquête de la ville de Valence. Jaume Febrer a écrit ses textes en catalan valencien.
  5. Jacques 1er le Conquérant
  6. Le baron Charles Jean-Marie de Tourtoulon est né à Montpellier en 1836. Il était avocat et fervent occitaniste. Il s'est intéressé à l'histoire de la Catalogne médiévale et a écrit en 1862 une Biographie historique de Jacques 1er le Conquérant, roi d'Aragon, qui lui valut d'être décoré de la croix de grand officier de l'Ordre d'Isabelle la Catholique. Ses travaux sur l'histoire du Languedoc lui permirent de publier le 21 mai 1876 la première carte définissant les limites linguistiques et ethniques de l'Occitanie. (source wikipédia)
  7. Un lion sur champ vert, sinople en langage héraldique.
  8. Cet écu est présenté dans le texte Caramany- Karamanh- Caramaing... et les autres, rubrique histoire.

Sources:

  • Trobes de mosen Jaume Febrer, caballer en que tracta dels llinatges de la conquista de la ciutat de valencia
  • Revue nobiliaire historique et biographique: les Français aux expéditions de Majorque et Valence sous Jacques le conquérant, Roi d'Aragon (1229 – 1238 ) par Charles de Tourtoulon. 1866
  • http://www.armoria.info , les sources mentionnées sont les armoriaux de A.G Carraffa et P. Mr. Rigalt.

Photos, recherches documentaires : Philippe Garcelon